Exergue n° 3

 

 

 

« Si la majorité renvoie à un modèle de pouvoir, historique ou structural, ou les deux à la fois, il faut dire aussi que tout le monde est minoritaire, pour autant qu'il dévie de ce modèle. Or, la variation continue ne serait-elle pas précisément cela, cette amplitude qui ne cesse pas de déborder, par excès et par défaut, le seuil représentatif de l'étalon majoritaire ? La variation continue ne serait-elle pas le devenir minoritaire de tout le monde, par opposition au fait majoritaire de Personne ? » 

Gilles Deleuze, « Un manifeste de moins »,
dans Carmelo Bene/Deleuze, Superpositions, Paris, Minuit, 1979, p. 124.

 
 


 Hélène Merlin-Kajman

30/09/2011

Chaque fois que j’ouvre un livre de Deleuze (avec ou sans Guattari), trois réactions se succèdent en moi, dans un ordre variable. Parfois, je n’y vois goutte. Mes amis philosophes disent qu’ils le comprennent parce que c’est un vrai philosophe : je m’incline. Parfois, il me rappelle précisément ce que je voudrais que nous quittions : la montée à l’extrême, le rejet lancinant de la représentation et des normes, etc. Mais parfois, sans crier gare, il m’emporte, et le choc du soudain voyage (tapis magique d’Aladin) me laisse pantoise. Ce n’est pas exactement que j’acquiesce à ce qu’il écrit ; c’est que chaque phrase, à une rapidité confondante, fait voler les portes et vient, comme un jeu de cartes, tout mélanger pour m’offrir une donne absolument nouvelle mais exactement adéquate à ce que je ne me connaissais pas encore en capacité de penser.

Surtout ne jamais oublier de lire encore Deleuze...

Cette citation n’est pas une des plus belles, et certainement d’autres exergues lui rendront mieux justice. Mais la variation infinie ne pourrait-elle être un nom de transition ?

Ce qui m’importe davantage ici, c’est qu’elle prend place dans un texte intitulé « Un manifeste de moins », en écho au Hamlet de moins de Carmelo Bene, qu’il définit comme un « opérateur », par quoi, ajoute-t-il, « il faut entendre le mouvement de la soustraction, de l’amputation, mais déjà recouvert par l’autre mouvement, qui fait naître et proliférer quelque chose d’inattendu, comme dans une prothèse ».

Le manifeste de Transitions se veut quelque chose comme « un manifeste de moins ».