Exergue n° 2
« Et précisément pour cette raison, il n’est certainement pas facile de chercher le plan, le simple plan, où se manifeste ce mystère, mais les Bergers d’Arcadie ont une particularité, remarquable, qui nous permettra de nous orienter. Ce caractère, c’est ce que j’appellerai la précarité de la signifiance. Au premier regard sur le tableau, tout y paraît immobile, fait pour durer sans fin comme dans une scène allégorique. Les gestes, les attitudes, porteurs de la signification, nous paraissent stables, prêts pour le temps, qui va être long, de la réflexion des observateurs. Mais ce n’est là qu’apparence. Car, on l’a souvent remarqué, cette main, qui s’est posée sur l’épaule, quelqu’un en nous commence à se dire qu’elle ne va pas y rester. Ce doigt, qui montre une lettre, dans un instant va glisser vers une autre, entraînant cette ombre que le soleil aussi, en tournant, va faire bouger, lui conférant une autre figure qui suggérera un autre sens. Et ces bergers eux-mêmes, on s’en avise du coup, vont bientôt quitter la scène où le tombeau ne parlera plus. […] Il y a chez Poussin l’assurance de l’esprit, il y a aussi l’inquiétude, mais il y a encore que s’il est inquiet, s’il a peur de l’avenir proche, il garde tout de même espérance. […] Cette main, ce doigt, cette ombre vont-ils bouger ? Oui, dans le monde extérieur, mais pas dans l’image. »
Yves Bonnefoy, « Les Bergers d’Arcadie », dans Dessin, Couleur, Lumière,
Paris, Mercure de France, 1995, p. 144-146.
Stéphanie Burette
23/09/2011
« La lucidité de l’esprit n’est assurée que pour un instant » continue Bonnefoy. Le tableau capture cet instant et l’inscrit dans la durée. Les bergers seront éternellement surpris de leur découverte, saisis par le jaillissement de la forme. Transis ? Le regard interroge, inquiet. La main se pose, confiante. Quelle signification ? Si les bergers considèrent le tombeau à jamais, emprisonnés dans l’image, pour tenter de trouver sa signification, le spectateur, lui, se donnera un sens. Ephémère, transitoire, vivant.