Exergue n° 4

 

 

« ÉPOQUE (la nôtre) : Tonner contre elle. - Se plaindre de ce qu'elle n'est pas poétique. - L'appeler époque de transition, de décadence. »

Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues (1880),
dans Oeuvres, tome II, Paris Gallimard, 1963, p. 1008.
 
 


Manon Worms

07/10/2011

Magnifique définition flaubertienne de ce que nous essayons, chaque jour, de comprendre – en écoutant les informations, en marchant dans la rue, en ouvrant un livre. Radicalité de cette définition, aussi : alors notre rapport au temps serait intemporel : invariablement, en 1880 ou en 2011, l’époque sera commentée par les contemporains comme provisoire, une articulation entre un avant révolu et un après effrayant. Au fond, nous vivons toujours une transition, en transition, ou bien c’est ce que nous voulons croire : car comment supporter le présent sans se l’imaginer porté vers un avenir différent, et toutefois fondé par un passé stable…

Le lexique de l’actualité a fait retentir cette voix qui « appelle » l’époque, dans un sens inédit pourtant. En Libye, les comités rebelles se sont structurés en un « Conseil National de Transition » (CNT) ; plus largement, la chute brutale de certains régimes dictatoriaux des pays arabes a placé la question de la « transition démocratique » au centre de tous les enjeux et de toutes les décisions. Et dans un autre ordre d’idées, récemment, le collectif Utopia (dirigé par D. Méda) publie un ouvrage nommé Les chemins de la transition. Pour en finir avec ce vieux monde ; les auteurs y insistent sur « la question clé des transitions, la seule à même de dessiner les chemins qui pourraient nous rapprocher d’un monde soutenable ».

Alors, la transition est espérée comme un chaos nécessaire, voire une certitude pouvant faire vaciller l'édifice angoissant de l'ère du soupçon. Les soulèvements des peuples arabes redonnent du sens à l’avant et l’après , imposent à notre époque une présence et même une urgence de la transition. La littérature est certainement appelée à s’inspirer de ce retournement, pour cesser de tonner contre l’époque et chercher dans les fourmillements transitionnels une permanence qui puisse permettre de tenir la route.