Exergue n° 22

 

« […] concernant la littérature, vous reconnaîtrez rapidement mon surmoi de savant, le grand livre pour moi, c’est le livre qui n’a pas encore été écrit. Tout ce qui est écrit est par principe faible par rapport à ce qui n’a pas encore été écrit. Selon moi, tous les littérateurs s’inscrivent sur ce fond, surtout si ce sont de grands écrivains […] parce qu’ils sont persuadés que ce qui n’est pas encore l’emporte sur ce qui est. »

Jean-Claude Milner, Clartés de tout. De Lacan à Marx, d’Aristote à Mao,
Paris, éditions Verdier, 2011, p. 74.

« Qu’est-ce qu’un livre qui ne sait même pas nous emporter au-delà de tous les livres ? »

Nietzsche, Le Gai savoir, § 248, traduction d’A. Vialatte,
Paris, Gallimard, 1950, p. 213.

 
 


 Gilbert Cabasso

11/02/2012

Et si le livre nous retenait à lui, nous transfigurait, nous faisait battre autrement le pouls, éveillait nos désirs, accroissait nos forces ? Femmes et hommes devenus livres, transitant du texte aux choses, dé-livrés ? Mais soudain, la fièvre nous vient, l’urgence de phrases nouvelles, de gestes inédits, le risque d’une forme, l’esquisse d’une autre manière. Et l’évidence de notre propre faiblesse, à jamais. Oscillation cruelle entre le sentiment du Grand Livre déjà écrit et de l’impossible livre à venir. Comment sortir de cette impasse ? Comment oser encore écrire après Proust, Kafka, Bernhard, Beckett… tous ceux que vous avez aimés jusqu’à en vivre, et résister de toutes vos forces aux intimidations mutilantes ?