Exergue n° 41
« Toute confiance dans le monde débute par les noms, qui permettent de raconter des histoires. C’est ce dont témoigne le récit biblique de la donation des noms au paradis, mais aussi la croyance qui est au fondement de toute magie, et qui reste déterminante dans les commencements de toute science, que la nomination pertinente des choses supprimera l’inimitié entre elles et l’homme pour lui permettre de les utiliser. La terreur qui a retrouvé la voie du langage est déjà supportée ».
Hans Blumenberg, Arbeit am Mythos, 1979, trad. fr. Denis Trierweiler (Archives de Philosophie, Les mondes de Hans Blumenberg, « Polla ta deina, ou comment dire l'innommable. Une lecture d'Arbeit am Mythos », t. 67, cahier 2, été 2004, p. 257).
Natacha Israël
23/06/2012
L’innommable nous appelle sans nous prénommer, il nous aspire dans le tohu-bohu et la nuit de « l’il y a » (voyez comme Lévinas, parce qu’il aime la vie et les mots, peut nommer l’expérience de l’innommable avec poésie). S’y attarder est s’oublier, renoncer à parler et à raconter des histoires en première personne sinon, parfois, perdre tout à fait la parole (voyez comme Quignard, dans Vie secrète, raconte sa propre hésitation entre l’effroi, la fascination, et l’expression poétique, littéraire, laquelle semble, alors, toujours charrier dans ses rouleaux les pierres pointues, magnifiques silex, qui ont déchiré le silence dont elles reviennent). Mais dans la hâte qui cherchait à s’y soustraire, autrement dit à supprimer l’étrangeté et l’inimitié entre le monde et les hommes, il me semble que tout s’est vu nommé et codé au fil des siècles. Retour, alors, au scepticisme et à la tentation du silence, désabusé celui-là, et contempteur du plaisir de parler, bavarder, improviser, divaguer. La distance du monde nous est apparue comme un outrage, elle qui faisait la beauté même de la vie humaine. Quant à moi, je pourrais bien renoncer…