Exergue n° 104
« La surprise qui vient de la figure de la diction est ainsi appelée parce qu’en icelle les mots ou dictions sont figurés d’autre façon en la conclusion qu’en l’une des propositions passant d’un genre en un autre, comme en cet exemple :
[…] Ce que tu as eu et n'as plus, tu l’as perdu.
Tu as eu une petite tête étant enfant, et tu ne l’as plus, tu l’as donc perdue.
C’est ici passer de la seule substance à la quantité : car en la proposition, ces mots Ce que tu as eu, signifient un seul genre, comme substance : et puis en la reprise, ces mots petite teste montrent et Substance et Quantité ensemble. Car la substance ne s’est point perdue, encore que la petitesse ne soit plus : c’est-à-dire, la tête demeure toujours, encore qu’elle ne soit pas petite comme elle a été. Il faut donc nier la conclusion et conséquence comme étant sophistique, fallacieuse et trompeuse, à cause de la transition et passage d’un genre en un autre. »
Scipion Dupleix, La Logique ou Art de discourir et raisonner (1607),
Paris, Fayard, 1984, VIII, 6, p. 347-348.
Brice Tabeling
18/01/2014
La sophistique, un art de la transition. Pour Aristote, les transitions sont un lieu de danger ; aux philosophes de débusquer les mauvaises transitions quand le langage, prenant les apparences du raisonnement le plus ferme, passe silencieusement d’une signification à l’autre et menace, au bout du syllogisme, la raison même. C’est, depuis, la grande tâche de la métaphysique occidentale : traquer la transition mensongère. Pesamment, Scipion Dupleix s’y attelle.
Il y ajoute une dimension nouvelle qui n’est pas non plus sans menace : le sophisme produit de la surprise. Une interprétation heureuse dira : espièglerie linguistique amusante. Une autre, plus perplexe, rappellera que ce pouvoir de bouleversement du langage par le langage fragilise tout savoir positif, qu’il est l’arme habituelle des négationnismes et que le lien entre les êtres tend à s’y dissoudre.
Ultime tour du sophiste : vraiment, certaines transitions font perdre la tête.