Exergue n° 112
« De toutes les fictions les romans étant la plus facile, il n’est point de carrière dans laquelle les écrivains des nations modernes se soient plus essayés. Le roman fait pour ainsi dire la transition entre la vie réelle et la vie imaginaire. L'histoire de chacun est, à quelques modifications près, un roman assez semblable à ceux qu'on imprime, et les souvenirs personnels tiennent souvent à cet égard de lieu d’invention. On a voulu donner plus d’importance à ce genre en y mêlant la poésie, l’histoire et la philosophie ; il me semble que c’est le dénaturer. […] Si l’effet théâtral est la condition indispensable, il est également vrai qu’un roman ne serait ni un bon ouvrage, ni une fiction heureuse, s’il n’inspirait pas une curiosité vive. »
Germaine de Staël, De l'Allemagne,
deuxième partie, t. III, 1810, p. 243.
Brice Tabeling
15/03/2014
La formulation est limpide, presque trop. Une des premières théoriciennes de la littérature, et l’une des plus importantes, définit, à l’aube du XIXe siècle, le roman comme « transition entre la vie réelle et la vie imaginaire ». Les œuvres de Hugo, de Balzac, de Zola, et des autres, de tous les autres, n’hériteraient-elles pas, en quelque manière, de cette phrase ? Le roman aurait-il jamais été autre chose que principalement transitionnel ?
Chaque objection – sur la mémoire, l’histoire, la philosophie et la poésie -- a son tranchant et il serait aisé de relancer la polémique en jouant ce passage contre les approches rhétoriciennes (de première ou de seconde manière), historiques et stylistiques de la littérature. L’intérêt cependant est ailleurs, dans l'indication simple et précise de que ce que le genre romanesque peut avoir de transitionnel : le roman est un recueil d’expériences donné en partage à d’autres expériences. D’un côté, les « souvenirs personnels », de l’autre, « une curiosité vive ». C’est là que se rencontrent des intensités à la fois particulières et communes.