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Exergue n° 165

 

 

 

Le dernier mot que doit ajouter ici l'auteur, c'est que dans cette époque livrée à l'attente et à la transition, dans cette époque où la discussion est si acharnée, si tranchée, si absolument arrivée à l'extrême, qu'il n'y a guère aujourd'hui d'écoutés, de compris et d'applaudis que deux mots, le Oui et le Non, il n'est pourtant, lui, ni de ceux qui nient, ni de ceux qui affirment.

Il est de ceux qui espèrent.

Victor Hugo, Les Chants du crépuscule, « Préface», Paris, Gallimard, 1964, p. 18-19.

 
 

 

Augustin Leroy

07/04/2018

 

Que Hugo opte pour l’espoir plutôt que pour le conflit ne m’étonne pas. En revanche, l’actualité de cette phrase écrite en 1835 me frappe d’autant plus qu’elle fait écho aux inquiétudes contemporaines qui nous traversent, à Transitions comme ailleurs. Déjà le manifeste annonçait dans le branle à venir « juste ce qu’il faut pour espérer », faisant de Hugo un plagiaire par anticipation. Nous aussi, ne souhaitons-nous pas éviter la binarité des choix, des représentations, des réponses ?

Et pourtant…

Hugo m’énerve. Pourquoi ? Ce qu’il semble dire est si proche, familier… Est-ce le côté vieux jeu, parler de soi à la troisième personne, Victor-César qui se (la) raconte sans humilité ? Peu probable, je crois pouvoir accepter ce style en le rapportant à son époque. Sont-ce les effets de manche, la grandiloquence rhétorique du tribun qui ménage, à grands renforts d’hyperboles, de cadences ternaires et de chiasmes l’effet qu’il cherche à inspirer ? Oui, peut-être, ces éléments se rapprochent d’un exercice de la parole dont les emplois ont souvent été tyranniques. Mais heureusement, cette grotesque répétition un peu geignarde, « ni…nient » habille la fatuité d’un joyeux ridicule et désamorce mon agacement.

Mais alors ?

Je crois que si Hugo m’énerve, c’est précisément parce qu’il me fait éprouver un hiatus. Oui, espérer est un élan vers l’avenir qui évite de tomber dans l’ornière du passé. Mais est-ce pour autant qu’on ne puisse plus ni affirmer ni nier parce qu’on espère ? Peut-on suspendre la lutte des classes, les rapports de force, la brutalité patriarcale, les crimes racistes, l’entreprise coloniale, les violences policières, tout ce que le passé accumule de colères, d’injustices et de frustrations ? Un tel geste, appeler à espérer, n’a-t-il pas pour corollaire une dépolitisation de notre rapport au monde et à l’Histoire ? Je me pose la question, pensant avec émotion à un autre exergue qui nous rappelait l’existence de « ces sensations de transitions impossibles » et je reste sans réponse.

Si « non » à nos rêves d’incendies, apprendre à dire « oui mais j’essaye » plutôt que « j’espère ».

 

 

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