Adage n° 23.2 : A chaque jour suffit sa peine / H. Merlin-Kajman



Adage n°23.2.

 

A chaque jour suffit sa peine.
 
 

Hélène Merlin-Kajman

06/03/2021

 

C’est un adage qui berce le désespoir.

Il me fait penser aux œillères qu’on met aux chevaux craintifs. Tout ce qui surgit à l’improviste dans leur champ de vision les jette dans l’effroi. Ni de la voix, ni de la main, ni de la jambe, le cavalier ne réussit seul à rassurer l’animal sur ce qu’il voit.

  Mais avec les œillères, le cheval retrouve sa confiance dans le projet du cavalier : il va au pas sans s’emballer brusquement ; il trotte, galope, franchit des obstacles ; il ignore les menaces, et les fantômes de menace... Délivré de dangers imaginaires, il abandonne son mouvement au corps et à la volonté du cavalier. Ainsi tous deux peuvent-ils chevaucher en toute sécurité.

Il en va de même ici : cet adage a ceci de consolant qu’il limite le champ de vision du temps. Il intimide ma terreur anticipatrice qui prend n’importe quel signe pour l’annonce d’une catastrophe imminente et irréversible. « Ne regarde pas plus loin qu’aujourd’hui, me murmure-t-il en me tenant la main. Quitte cette couleur de désastre qui flotte autour de demain. La peine des jours qui viennent ne sera pas grossie de celle d’aujourd’hui, car celle d’aujourd’hui sera leur passé ».

C’est à cette condition qu’aujourd’hui peut devenir la promesse de demain. Oui, et malgré la foule d’objections qui se pressent à mon esprit (que fera donc le cavalier si la terreur de son cheval est justifiée ? Un tsunami par exemple : on raconte que des hommes furent sauvés par la course de leur monture avertie avant eux par un sens secret que nous n’avons pas. Etc.), c’est au moins ça, aujourd’hui n’est pas seul ; aujourd’hui est comme chaque jour que tu regardes ; et la peine, l’angoisse, l’attente surtout, se fractionnent. Ta douleur devient homéopathique. Tu peux laisser tes muscles se relâcher, laisser monter en toi la voix apaisante de Baudelaire : « Sois sage, ô ma Douleur... », ou ce vers de Macbeth que tu t’es si souvent répété : « Come what come may,/ Time and the hour runs through the roughest day »…Ton cœur n’a pas besoin de battre à ce rythme, tes organes n’ont pas besoin de se contracter à t’étouffer : tout va aussi bien que tout peut aller ; et même le jour de ta mort sera simplement ta dose de peine de ce jour-là...