Adage n°8.2 : Quand on aime... / J. Monamy



Adage n°8.2

 

 
Quand on aime, on ne compte pas.
 
 


Jean Monamy

04/04/2020

Longtemps j’ai été professeur dans un lycée de la banlieue bourgeoise des Yvelines.

Je n’avais guère la vocation de l’enseignement, mais la nécessité de travailler juste après avoir obtenu le bac m’avait poussé à choisir ce métier, car il me laissait du temps libre pour pratiquer le sport que j’aimais. Et, dans les années 60, la pénurie d’instituteurs était telle qu’on recrutait des bacheliers qui se formaient sur le tas.

J’étais un très mauvais maître, car je n’avais aucune autorité avec les jeunes enfants et mon désordre naturel ne constituait aucunement un exemple pour les former (ou les formater) selon les conceptions rigides des inspecteurs, qui me le firent payer en ne me titularisant qu’à la troisième tentative de C.A.P. (et de justesse !) et en me refusant toutes les formations auxquelles j’aspirais pour sortir de ce métier que je n’aimais pas.

Néanmoins au bout de sept ans je pus accéder à une formation de P.E.G.C. dont le recrutement dépendait directement du rectorat où j’étais inconnu. Ayant intégré l’École Normale d’Instituteurs d’Auteuil et la Sorbonne, je pus grâce au Concours des I.P.E.S. reprendre des études universitaires jusqu’à l’agrégation, tout en étant payé comme instituteur. Après une année de stages et un an d’exil en province, je fus nommé dans ce lycée des Yvelines qui s’étendait sur plus d’1 kilomètre et comptais 2000 élèves.

Si je détestais toujours autant le corsetage administratif des instructions officielles, j’aimais travailler avec mes élèves, qui me le rendaient bien, et voir leurs esprits s’éveiller. Aussi dès que j’arrivais en salle de cours, je négligeais les formalités d’appel et autres balivernes du cahier de texte pour plonger avec eux chez Louise Labé, Montaigne, Diderot, Flaubert, ou Marguerite Duras..

Je persistais dans mes manquements malgré les rappels incessants d’une surveillante générale qui, heureusement, m’aimait bien, et tolérait mes incartades disciplinaires et mes fantaisies pédagogiques (parfois à la limite des règles de sécurité, quand je dispatchais trois groupes d’élèves autonomes, entre lesquels je circulais, dans trois lieux très éloignés les uns des autres pour des essais de théâtre).

Si bien qu’un jour je trouvais dans mon casier, une nième réclamation de fiche des absents, barrée de la mention suivante :

« Je sais : Quand on aime on ne compte pas, mais… »

Son humour me fit rire, mais…

J’aimais tant que je n’appris jamais à compter.

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