Abécédaire

 
 Ignorance n° 1
 
 


Jennifer Pays

14/02/2015

Insouciance qui précède la tentation. 

L’élan collectif qui a animé les hommes lors de la construction de la tour de Babel nous fait avancer à pas de loup sur le chemin de la connaissance. La sanction est tombée : nous ne parlerons pas tous le même langage… Ou la chance ? 

En esquissant une définition de l’ignorance, vient à l’esprit un clivage grossier :

D’un côté, les instruits ; de l’autre, les imbéciles.

On s’insurge souvent devant ces derniers. Mais on les envie un peu, ceux qui savent être heureux parce qu’ils ne sont pas intelligents. Quel bonheur d’ignorer les questions !

Vraiment ?

L’ignorance semble bien vécue quand elle est ignorée.

Mais ignorer peut être particulièrement angoissant. Expérience radicale de l’inconnu.

Ignorer procure aussi un certain enthousiasme, une ouverture sur le monde, suscite l’envie d’apprendre, éternels élèves que nous sommes.

Alors, qu’avons-nous acquis ?

Ignorance de soi. On a beau gratter les couches avec pour visée l’exploration de l’intimité, nous ne parvenons qu’à quelques-uns des nombreux fonds dont notre vie psychique regorge et semble seule détenir le secret. La plongée paraît infinie. On n’en a donc jamais terminé de descendre pour mieux remonter, jusqu’à ce qu’une prochaine immersion s’impose.

Ignorance de l’autre, cet autre soi, pourtant dissemblable.

Ignorance de la mort. Non pas expérimenter la mort d’un proche mais bien la mort, « être dans la mort » (difficile de le formuler ainsi) : Serons-nous encore ? Serons-nous alors ? La mort nous fera-t-elle retrouver le chant primitif du monde ? Nous ignorons, nous ne saurions savoir ce que c’est. Nous pouvons supposer, imaginer, croire bien sûr ; mais affirmer, non.

 Ignorance du réel. La vie nous contraint à respecter le mouvement indéfini de la nature. L’élévation spirituelle ne serait-elle pas l’acceptation du silence, de l’ignorance, de l’impénétrable ? Platon nous l’enseigne : la connaissance est au-delà du sensible. Peut-il réellement le savoir ?

Ignorance du savoir, illusion de celui-ci, en ce sens qu’il est discutable, non définitif, aussi fondé et logique soit-il.

L’ignorance, ici, partout. Toujours ? Pour tous ?