Abécédaire

 
 Flou n° 2
 
 


Florence Magnot-Ogilvy

24/01/2015

Est flou ce qui est contraire à la netteté, ou simplement, ce qui en manque. L'emploi métaphorique emprunte au domaine de l'optique. Le flou est d’emblée une notion éminemment suspecte que l’on rencontre par exemple dans les appréciations de certaines copies d’étudiants mais pas seulement  (« expression floue », « pensée floue », « problématique floue », « logique floue », etc).

Le flou a été théorisé par Marivaux en 1719 : le véritable objet de ses pensées sur la clarté, c'est le flou. Il évoque « un certain point de clarté au-delà duquel toute idée perd nécessairement de sa force ou de sa délicatesse » (Marivaux, Pensées sur différents sujets, « Sur la clarté du discours », Journaux, t. 2., éd. GF, p. 52.) Selon lui, trop de clarté nuit à la subtilité de l’idée ou de la pensée complexe. Un pas de trop en avant et l’auteur affaiblit ses idées (« il croit les rendre plus claires ; il se trompe, il prend un sens diminué, pour un sens plus net »). De même, pour saisir la pensée des textes, pour la comprendre, il faut accepter (rationnellement) et accueillir (intuitivement) la part de ce flou et l’observer à la bonne distance.

Ce qui fait la clarté est de savoir ne pas vouloir anéantir le flou. La clarté n'est pas une qualité absolue mais l’ingrédient d'un arbitrage, d’une négociation dont l’autre ingrédient est le flou. Ce flou-là, celui de Marivaux, n’est pas manque ou imprécision, il est décision et choix du point où la clarté ne doit pas être plus grande. Il est le résultat d’une approche, sans être approximatif.

La lecture littéraire, la pensée de la littérature passent par cet apprivoisement. 

La lectrice que je suis fait l’expérience du subtil arbitrage que nous proposent les textes, certains textes. La relation à laquelle ils nous invitent n’est pas de l’ordre de l’affrontement (le lecteur, ou la lectrice, « s’attaquerait » au flou pour le réduire à du net, pour en « extraire » la netteté, en des métaphores qui disent la brutale intervention d'un lecteur combattant qui veut de la clarté, et vite, et tout de suite).

N’ayons pas peur du flou ! Il nous préserve de la lumière froide des néons, celle qui éclaire tout d’une aveuglante clarté, détruisant une partie de la complexité propre à l’esprit de finesse.

La pensée, l’idée dans la littérature, dans la discipline et la sensibilité littéraires, ont quelque chose de ce flou lumineux, de ce point fragile, mais précis, où l’on n'est ni trop loin, ni trop près.  


   

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