Abécédaire

 
 Exil
 
 


Coline Fournout

24/01/2015

 1. 

Il y a une différence entre : être exilé, être déporté, s’expatrier, s’exiler.

 On dira que Dostoïevski a été exilé.

 On dira que Samuel Beckett s’est expatrié.

 On dira qu’Albert Einstein s’est exilé.

 On voit trop bien que déporté veut dire : l’arrivée n’est pas un pays mais un camp de n’importe quelle nature.

2. 

On peut se vouer à l’exil comme on peut y être forcé – par l’Etat, par le danger, par le poids des actes ou la nécessité des choses, ce qui est très différent.

 Il y a à la fois la punition et la protestation, l’ostracisme et la fuite, le deuil ou le travail à la clé.

 Il y a beaucoup de noms célèbres, mais beaucoup aussi se trouvent qui ont disparu : les libres penseurs, grandes gueules et petites voix mordantes, et aussi ceux qui n’étaient pas jugés conformes et/ou utiles à la nouvelle loi, soit les « obsolètes » ou les « sous-hommes ».

 L’exil n’est plus tant une pratique du droit positif, qu’une pratique négative : « cher monsieur, vous êtes tout à fait autorisé à rester ici, et votre femme, et vos enfants, et vos amis ; seulement, si vous restez, nous vous ouvrirons la gorge, à votre femme le ventre ; d’ailleurs, nous avons déjà pillé votre maison ». Qui est donc, non pas l’autre nom, mais l’effet de la persécution.

 NB : le phénomène s’accroît avec l’absence de loi.

3. 

Le romantisme de l’exil en fait disparaître la technicité.

 Exil – désir maladif d’un monde dont on a été privé.

 Exil – et le monde se fait dans notre dos.

 Et l’on verse des larmes en lisant les journaux étrangers, et ces larmes sont le fleuve de nos propres journaux, nos lettres, nos poèmes, qui brandissent la haute valeur de l’insignifiant.

 L’exilé pourrait être le contraire de l’aventurier, car ce qui est privation pour l’un est moteur pour l’autre.

 Pour tous deux n’est de boucle possible, quoique le premier en rêve dès que le soleil baisse la tête ; quoique l’autre en rêve aussi, mais pour penser au lieu prochain.

 Pour tous deux est perdu le petit Liré, le premier parce qu’on lui en impose un nouveau de carton plâtre, le second parce qu’il sait déjà qu’il habite partout où il aime.

 L’exil veut priver de la liberté de penser, de vivre et de parler en privant de la liberté d’habiter, en paralysant par la contradiction suivante : rester ici alors qu’on devrait être ailleurs.

 Exil – manque d’amour, ou révélation de l’amour.

 Cesse-t-on d’habiter, lorsqu’on est en exil ? Oui, mais l’amour tient, et c’est être habité.

 Habite-on vraiment, sans exil ? Oui, quoique le vide du manque donne réalité.

4. 

La définition est en cours, car le terme s’inscrit dans un réseau de significations mouvant avec celles de patrie, de propre, de communauté.

 Peut-être plus personne n’est-il chez soi : ce n’est pas que nous rendions le monde inhabitable, c’est que nous l’avons rendu inhabité.

 Il y a donc à choisir entre l’exil de la dépression et l’exil de la joie.

5. 

On pourrait épiloguer sur la beauté des lointains et les détours de la pensée, mais l’exil n’est jamais seulement une métaphore.