Abécédaire

 
 Érection n° 1
 
 


André Bayrou

17/01/2015

Mouvement ascendant ou état figé d’une forme phallique. Oui, parce que seul prend forme le phallus érigé. S’il ne l’est pas, il est rendu à l’informe, presqu’à l’invisible, à son humble corvée d’évacuer les urines. Alors, un tic d’explication de texte durant mes années d’étude, chercher la forme phallique, arme ou accessoire (la canne des Indes de La Princesse de Clèves). Risqué ; ne pas rougir, ou se couvrir de ridicule en dessinant des membres dans tout le paysage. Malgré tout, prestige de la forme, hauteur, architecture, tout ce qui se dresse : érection d’un mât, d’un temple, d’une statue qui peut être elle-même en érection et devenir un jour la proie des mutilateurs de marbre, hongreurs d’art, hermocopides aux intentions joyeuses ou sinistres. Érection : être en —, avoir une —, avoir des problèmes d’—. Petite histoire littéraire, certain-e-s (c’est mon cas) se souviennent surtout des problématiques, des plaintifs : Pavese, Pessoa, Baudelaire ; le consul de Sous le volcan, le roi blessé du Conte du graal, le jeune Encolpe du Satyricon. D’autres retiennent plutôt les infaillibles, Casanova, Maupassant, héros de Sade. Nouement des aiguillettes ou priapisme. Aux deux fascinations, opposer par acquis de conscience un sourire ironique. Mais le désir provoqué par les textes ? Le premier des jeunes « détectives » de Bolaño lit de la poésie sur un banc public avec une érection de cheval – d’habitude, ce genre de réaction déconcentre dans la lecture. Conseil d’un professeur du conservatoire à ses élèves musiciens : « faut que ça bande ! » Thèses, cours, conférences : les sujets sexy et ceux qui ne le sont pas. Je ne prendrais pas ce langage trop au sérieux. La littérature éveille des envies, souvent envie de vivre et parfois de mourir, une foule de désirs de grandeur ou de petitesse : il serait en un sens castrateur de vouloir les réduire à la forme d’une érection.