Abécédaire

 
 Communisme n°3
 
 


Gérald Sfez

22/11/2014

Illusion de la raison et du désir.

« Mon intention étant d’écrire des choses utiles à qui l’entend, il m’est apparu plus convenable de suivre la vérité effective de la chose que l’image qu’on en a » (Machiavel, Prince, XV). La vérité de la chose politique (de la cause), c’est ce qui arrive en effet. Les effets  du projet communiste sont visibles de tous et le rapport constant.

Quoi qu’on en ait, la politique est de l’ordre de l’institution et du fonctionnement, et c’est pour le meilleur. Or, la raison du commun de l’humanité ne peut prétendre s’inscrire dans le réel, dans de l’institué, qu’il s’agisse d’une situation locale ou globale, d’un état stable ou d’un état de mouvement, révolutionnaire, sans se cristalliser dans un fonctionnement qui débouche sur l’altération de toute humanisation de l’homme. Une communauté, fût-elle « désœuvrée », est vouée à l’horreur. Le commun incarné y  devient alors le commun qui n’est plus, selon une expression de Valéry, inspirité, il est, au contraire, anesthésié.

« Il tomba dans les bras du spectre de l’humanité »[1]. Détourne les yeux de l’abîme. Si tu y tombes, cherche comment te dégager.

L’autre est mon semblable, un autre. Entre le même et le différent, il n’y a que  de fausses synthèses, pas de côté qui puisse l’emporter en valeur ni de correspondance, l’humain est bancal. Toujours dans une non-identité qui n’en fait ni credo ni dogme, tant elle est mêlée d’identités. Effacer l’origine éclatée de la raison du commun, l’établir, c’est la briser. C’est interdire l’adresse et traquer l’intime. Il faut accepter l’humanité impure et divisée, irrégulière et imprévisible, exposée à la corruption et à la génération, vivante. Sans illusions d’un partage universel. La phrase du communisme est toujours un mot d’ordre qui tue la préférence, toi et moi, qui mortifie le sensible, le libre et le réciproque. L’égalité n’est pas sans la  liberté au principe. 

- Et le troisième terme, « Fraternité » ?

- Plutôt que la fraternité toujours faussaire, la probité et la décence ordinaire,  cœur secret de la civilité, selon Orwell.

- Mais ! Le monde dévasté par le capitalisme qui éreinte et surveille, l’emprise effrénée du Développement, et, plus grave encore, les fanatismes exterminateurs, la terre universellement vouée à son exténuation à une vitesse inimaginable ?

- « L’ennemi de mon ennemi n’est pas mon ami. »[2] .

- Du moins le communisme ne peut-il valoir comme simple promesse ?  Ne peut-on l’oser ?

- Une promesse qui ne peut ni ne doit être tenue n’est pas une promesse. L’audace, elle aussi, manque de quelque chose.

Demeure le sentiment douloureux d’une résistance commune qui ne trouve pas sa phrase cherchée.


[1] E. Canetti, Le Territoire de l’homme, Paris, Le livre de poche, Albin Michel, 1978, p. 381.

[2] E. Canetti, ibid., p. 384.