Abécédaire

 

 
Muraille n°2
 
 


Boris Verberk

04/05/2019

 

Pour Furetière, il n'y a pas de différence entre le mur et la muraille. On peut être au pied de l'un ou de l'autre, tous deux ont des oreilles. Peut-être est-ce parce qu'il écrit au temps des remparts, ces levées de terre renforcées de maçonnerie à l'épreuve des canons ; ce n'est pas tout à fait la même chose.

Aujourd'hui, il y a bien des murs que je refuse d'appeler murailles.

La muraille ne serait donc pas tout à fait un mur ; pas toujours au moins. Elle se généralise vers l'an mil autour des châteaux forts, les palissades ne suffisant plus à défendre les mottes castrales. Une histoire de trois petits cochons qui trouveraient un refuge de plus en plus solide – de la paille au bois puis à la pierre. Ainsi, on s'emmuraille pour mieux se défendre.

Alors que quand on emmure, métaphoriquement dans le silence, ou concrètement dans une prison ou un tombeau, c'est pour disparaître. Antigone paie de sa vie la difficile différence entre mur et muraille. Refusant de laisser son frère à la merci des violences de la nature au pied des murailles, elle finit emmurée ; insupportable ironie.

La muraille protège, le mur enferme – ce serait donc la différence ? Trop facile. Entre le mur d'Hadrien et la Grande Muraille de Chine, cette antithèse ne tient pas. Ces deux constructions sont des frontières : elles ont pour but de contenir les flux, de les voir échouer à leur pied dans une écume sanglante. Alors oui, quelle horrible muraille que la Méditerranée.

Pourtant, on ne dira pas d'un mur qu'il est beau. Il pourra protéger du froid, des autres, mettre toute la distance entre nous et ce qui nous menace, rien n'y fera. Avec des murs, on se renferme sur soi. Mais si le mur peut être aveugle, la muraille est un point de vue. Du haut de son chemin de ronde on peut contempler l'horizon, au bord du vide.

Il y a la tentation du mur dans la muraille. C'est si facile, il suffit de baisser les herses, fermer les portes, les ports, les cols. Mais justement, si la muraille peut être belle c'est par ses portes et ses tours. Ornées, peintes, émaillées, elles savent accueillir les voyageurs, les marchands, les caravanes, les processions. Son chemin de ronde se domestique, on y placera un marchepied pour profiter de l’horizon. Et si c’est entre les créneaux que tout se joue, alors pourquoi pas y tendre des cordes à linge ? Ainsi, derrière les murailles, il n’y aura pas de château hanté.