Abécédaire

 

 
Rougeur
 
 


Noémie Bys

04/05/2019

 

 

1. Résultat d’une réaction physique ou d’une réaction émotionnelle. Elles n’ont peut-être pour seul point commun que la trop grande agitation du sang. Toutefois, pour cette définition, nous laisserons de côté les irritations et nous nous éloignerons du soleil. Ainsi, il ne restera que le deuxième cas, sans choc cutané.

2. Le jargon scientifique la nomme érythème pudique, ne perdant pas de vue l’adage qui fait de la rougeur le vermillon de la vertu. Le sujet peut rougir d’un compliment, d’un baiser inattendu, d’une rencontre imprévue, d’une colère insoupçonnée.

Rubicond de la bienséance, elle s’essaye à limiter le dérapage, mais l’encourage parfois.

3. Mais lorsqu’un visage, une gorge rougissent, ce n’est pas tout à fait dénonciation, pas tout à fait pudeur, pas tout à fait retenue.

L’autre croit que je me trahis ; l’échauffement des joues a devancé mon pas : je ne veux ni lui donner raison, ni me faire du tort. Il me semble qu’à cet instant la rougeur n’a aucune cohérence émotionnelle puisqu’elle ne répond ni à la parole attendue ni à ma parole intérieure. Finalement, c’est peut-être le ni ni qui en est la cause. Et prise dans ce transport à bascule, je ne sais plus s’il s’agit d’une étrange coquetterie affective ou d’un amour-propre abîmé.

C’est presque simplement la peur – une défaillance parfois heureuse.

3*. La rougeur n’accompagne pas toujours le silence ; seulement, elle l’illustre parfois, le colorie et lui donne mille visages. Alors — lectures confuses — elle favorise l’énigme et parfois le malentendu.

Et puis, elle ferait contraste : elle colore la fadeur d’un teint pour le faire tremper dans un motif passionnel. Mais la cause n’appartient pas seulement à un sujet (trop) sensible, elle est le signe qu’un quelque chose peut échapper dont le sens restera profondément secret. Pas tout à fait énonçable, pas tout à fait représentable. Mais un semblant de vrai, pour soi pour l’autre, et encore.

4. La rougeur a-t-elle un genre ? Non. Je veux que ce soit plus nébuleux que ça.

5. S’empourprer, piquer un fard : mise en scène comique de mains parties trop vite, de pieds qui tricotent, de Pierrot la lune qui tombe à côté. Le maquillage aléatoire assiste aussi le geste maladroit.

6. On dit aussi que le désir fait rougir. Rouge-passion, rougir-plaisir, coup de chaud, etc. Seulement, couleur facile, elle n’a pas le monopole du signe érotique.

7. Et que faire de la rougeur solitaire, lorsque sur le chemin d’un retour, sur un bord de lit, la chaleur vient gonfler la surprise d’une pensée, comme une compréhension tardive. En rejouant la scène virtuellement, une fois et plusieurs, le sujet ne se concentre plus que sur les défauts, il y aurait alors trop à rejouer pour ne plus avoir honte. Un tout à coup irréparable.

8. Cependant : ne pas se défendre de rougir. C’est la vallée de la suspension qui met un habit de couleur, un va-et-vient de rouge parce que l’échange flotte, qu’il a le souffle coupé.

Je veux que la rougeur dise alors qu’il y a peut-être encore quelque chose à sauver.

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