Abécédaire
Hélène Merlin-Kajman
03/11/2018
Il n’est pas difficile de définir le désert : on y a soif ; on y a faim ; on y est seul.
De là vient qu’on désigne par ce nom des espaces aux caractéristiques géographiques particulières – ou non.
L’ermite, qui cherche Dieu, s’y retire. Le diable lui envoie des créatures étranges et séduisantes qui l’affolent de leurs promesses. La légende ne dit rien de ceux que le désert égare, mais elle célèbre les saints qui y résistent et en ressortent hagards, ou plutôt illuminés, avec des haillons flottant autour d’un corps squelettique d’une anormale douceur, accompagnés d’un grand fauve étonné qui les suit à pas lents et dociles.
L’homme éprouvé par ses semblables nomme désert le lieu de sa retraite, et « bernard l’ermitte » un crustacé craintif que la nature oublia de pourvoir d’une carapace protectrice.
Car il n’est pas rare qu’on aspire au désert, confiant dans les ressources solitaires de son propre esprit, au risque de découvrir que l’âme aussi a ses déserts, terres brûlées de l’imagination et du désir qui enfantent leurs propres démons sans qu’aucun diable s’en mêle et qu’aucun fauve placide vienne jamais s’allonger, songeur, auprès d’elle.
Renoncer à toute compagnie, voici ce dont le désert constitue la figure parfois douloureuse, parfois exaltée, souvent obstinée voire orgueilleuse. Ainsi se retire le misanthrope Alceste, qui ne sait pas aimer.
Déserter : verbe extrême face auquel toute définition achoppe ; car tantôt il le faut, et tantôt non.
Mais pour désigner un moment de la vie humaine abandonné de tous, on dit (au contraire ?) « la traversée du désert » : y succombera l’homme ou la femme qui s’y retrouvera seul(e) absolument, sans ami(e), sans famille, sans amant(e).
Ainsi le désert est-il tour à tour asile – ou asile.
S’il est facile de définir le désert, il est en revanche difficile d’expliquer l’attrait irrésistible qu’il exerce sur l’imagination. Est-ce en raison de la pureté de ses lignes ? De son aspect minéral ? De son intense luminosité ? Ou des tempêtes de sable que le vent y soulève ? La mort y rode, mais elle est sèche. Le désert défie l’incarnation sensible. Et même si les mirages qui y naissent sont de parfaits parangons du simulacre, peut-être que si elles ne séjournaient pas au ciel, c’est là que l’on placerait les Idées platoniciennes – loin des hommes et de leurs passions...
Mais le désert a sa propre manière de triompher de ces tourbillonnantes fantasmagories. Car, quoique immensément raréfiée, la vie n’en est pas absente ; en un sens, elle y triomphe même.
Les deux bosses du chameau et les épines du cactus offrent des solutions pérennes aux affres du désert. Et la caravane. Et les tentes, et le bivouac, et les regards chercheurs qui se perdent ensemble à l’horizon.