Abécédaire
Benoît Autiquet
07/04/2018
La perfection comme absence de défaut ne pose pas de problème, parce qu’elle ne suscite pas (plus ?) de désir. Tout le monde sait (depuis quand ? de tout temps ?) que l’on aime quelqu’un-e malgré ses défauts, et à cause d’eux. Que les héros les plus aimables sont pleins d’imperfections. Que les peaux les plus désirables ont des petites cicatrices, ou de petits grains de beauté, etc.
M’intéresse davantage la « perfection » entendue, dans un sens un peu ancien, comme « qualité de ce qui a été poursuivi jusqu’à son terme ». Son idéal n’est pas l’absence de défaut, mais l’achèvement. Elle a un rapport étroit avec la définition, qui, comme son sens latin l’indique, cherche à fixer les limites, les frontières, de l’essence d’une chose. Pour qu’une définition circonscrive complètement une essence, il faut qu’elle en dise tout, qu’elle l’achève. Au contraire, la description, du monde, n’en vient jamais à bout. Il faut toujours qu’elle rajoute, à son propos, des petites choses dont on se demande si elles font, ou non, parties de l’essence de LA chose. En ce sens, la description n’est jamais parfaite.
L’absence de perfection, au sens d’achèvement, se manifeste donc dans l’écriture par l’impossibilité de la définition. Il faut ici revenir sur les conditions d’écriture de ce texte. Au site Transitions, pour l’année 2017-2018, je devais trois définitions : celles de « modèle », de « fierté » et de « perfection ». J’avais choisi cette trinité par blague, ou par défi, non seulement parce que ces mots ne me correspondaient pas, mais aussi parce que le genre de la « définition » me paraissait hors de portée. Résultat : j’ai décommandé les deux premières, et la troisième arrive très en retard à ses relecteurs et relectrices. Là, il y a un désir, et un désir contrarié : celui de finir un texte dans les limites de temps qui me sont imparties.
Mais ne retrouve-t-on pas ici l’imperfection séduisante du début ? En exhibant mon impossibilité à parfaire la définition, ne suis-je pas en train de chercher à me faire aimer malgré mes défauts, et à cause d’eux ? Sans doute un peu, mais à vrai dire, je déconseille formellement l’inachèvement perpétuel comme technique de drague : pour peu qu’on ait un minimum le souci d’autrui, c’est beaucoup trop coûteux psychologiquement. Pour dire « je t’aime », il faut savoir trancher. Et pour rendre un texte, il faut savoir en répondre.
Ainsi, faire l’éloge de la perfection est évidemment idéaliste ; mais assumer son contraire avec satisfaction serait, je crois, irresponsable.