Sylvie Cadinot-Romerio

27/01/2018

 

On a beau vous les accorder ; vos moments d’hésitation agacent. Et mieux vaut qu’on ne vous y croie pas sujet : on vous déclare de caractère hésitant ; on fuit (il serait d’ailleurs intéressant de s’arrêter sur ce point : qu’on hésite rarement à assigner aux autres des identités).

Les plus grandes âmes même, qui savent sur quel fond obscur se détache toute décision, ont du mal à ne pas y voir, à la longue, une défaillance.

Cela vient sans doute de la force d’inertie propre aux sens étymologiques, celui-là surtout : haesitare, c’est « être embarrassé », et même, en une construction spéciale, « patauger ».

Au contraire, le doute est beau à voir, surtout depuis Descartes qui en a chassé le sens premier, celui de peur, et qui l’a rendu « méthodique ». Le doute, lui, a réussi à devenir une opération rationnelle, et même à devenir nécessaire si on veut atteindre de belles évidences.

L’hésitation, elle, est restée figée dans les affects ; elle porte désormais tout le poids de notre passivité, de nos embarras intérieurs.

Dit-on de l’âne de Buridan qu’il doute, cet âne qu’il est, incapable de faire un choix arbitraire : il hésite, absurdement.

Dans la réalité, d’ailleurs, aurait-il besoin de libre-arbitre, d’humanité, pour se décider entre ces deux éléments vitaux que sont l’eau et l’avoine ? Il lui suffirait, l’animal, de laisser parler son corps : il boirait.

Ce qui fait surtout hésiter les ânes, ce ne sont pas les objets de désir qui exercent des attractions pulsionnelles ; souvent l’inconscient les pousse vers le plus fantasmé, obscurément ; ce sont les charges à porter, ou du moins, les objets de médiocres désirs, dont ils savent qu’ils ne les feront pas vraiment vivre la vie accomplie dont ils rêvent.

Si l’hésitant peine à traverser le miroir des possibles qui le subjugue et à choisir une des réalités qui se présentent, c’est peut-être qu’il n’a jamais pu (su ?) rompre avec ses anciens rêves.

On pourrait croire qu’aujourd’hui, le monde lui est propice : il n’a plus que de petits gestes à faire, de simples effleurements, presque sans y penser, et la décision lui échappe : il a configuré, lancé, validé, envoyé.

Ce n’est pas là le moindre paradoxe : que le virtuel contrevienne au possible.