Abécédaire

 

 
Écriture n° 1
 
 


Benoît Autiquet

02/12/2017

 

 

Un mot beaucoup trop grand pour moi. A priori, je dirais que l’écriture m’importe peu. Un des plus beaux compliments qu’un professeur m’ait fait : « vous ne vous payez pas de mots ».

Je me souviens tout de même d’avoir été émerveillé par l’écriture de Pierre Michon. Il racontait l’histoire de ses ancêtres infâmes, pour la plupart paysans, et moi-même j’étais dans une ferme isolée dans le Haut-Jura, et je lisais à la lampe de poche. Cette ferme, vendue depuis, je n’y retournerai plus. L’émotion de cette lecture et de son souvenir, je la distingue mal cependant de celle du moment et du lieu : que pèse la beauté de l’écriture de Michon face à la ferme disparue, face à la lumière de la lampe de poche, et face au froid qu’il faisait dehors, tandis que j’étais sous les couvertures ? Je veux, c’est important, laisser en suspens la réponse à cette question.

Ce qui me reste de ce livre de Michon, Vies minuscules, c’est le passage où un prêtre s’enivre de répéter « Tobie » en accentuant légèrement le « e » final ; qui, par ce maniérisme, se saoule de sa propre parole, et envoûte son auditoire. Cela, je le comprends mieux. Je voudrais, comme Montaigne, « parler au papier ». Ou que le papier me parle : j’aime beaucoup les livres audio. Éviter autant que faire se peut le langage écrit.

Ou alors l’étudier comme un graphologue. L’écriture que trace la main, celle-ci m’intéresse. Michon, encore (décidément) : dans Rimbaud le fils, je crois, il parle de ces splendides écritures d’instituteur de la Troisième République, qui traduisent l’importance, l’autorité, que le scripteur s’accorde à lui-même. Mon écriture est très irrégulière, et très enfantine. Comme celle de mon frère. Pourtant, nos parents ont, me semble-t-il, des écritures d’adultes : très individualisées, très difficiles à déchiffrer, et droites, malgré l’absence de carreaux sur le papier tout blanc qu’ils utilisent. Dès que nous avons appris à écrire, dès l’enfance, il semble que nous ayons décidé que ce n’était pas le moyen par lequel nous passerions, un jour, à la majorité.

(J’ai appris à écrire avant l’utilisation généralisée des ordinateurs. Je n’ai rien rédigé par traitement de texte avant, au moins, mon master. Ce n’est pas par défaut d’exercice que mon écriture est toujours restée celle d’un enfant ; avant même l’ordinateur, semble-t-il, nous n’attribuions plus la même importance à l’autorité d’une belle écriture.)

— Pour une définition, il y a beaucoup de « je ».

— En somme, devant l’« écriture », j’ai la terreur d’un fils : l’héritage est si lourd qu’il faut bien protéger les frontières du moi. Pour ne pas devenir un ventriloque, un bon élève qui répète le culte que ses ancêtres ont voué au langage. Pour cela, je veux en revenir au plus intime de l’écriture, c’est-à-dire à la trace : celle que la pensée volatile, ou que la main, laissent sur le papier. Quitte à prendre le risque que la trace disparaisse.

— Mais il n’y a rien de commun dans cette écriture ! Rien de général ! et, en l’occurrence, rien de définitionnel !

— Rien en commun a priori. D’où l’importance de ménager une adresse.

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