Abécédaire

 

 
Dromadaire n° 2
 
 


Hélène Merlin-Kajman

25/11/2017

Le dromadaire n’est pas un chameau.

Mais comme chacun sait, ils se ressemblent beaucoup.

Ils ont aussi des cousins américains charmants. Les uns sont domestiques : le lama, célèbre pour ses conversations avec le capitaine Haddock, et l’alpaga, célèbre pour ses chandails. Les autres, guanaco et vigogne, eux, sont demeurés sauvages.

Pas plus que le chameau (asiatique), le dromadaire (arabe) ne vit en Europe : nous autres, européens, nous ne les rencontrons qu’au zoo ou dans les livres d’enfants. Faute d’une vraie familiarité avec eux sans doute, nous peinons, comme chacun sait, à nous rappeler lequel a deux bosses et lequel n’en a qu’une.

C’est facile pourtant. Le dromadaire est comme la lune, menteuse disaient les Romains : lorsqu’elle croît, elle fait un « D » ; lorsqu’elle décroît, elle fait un « C ». Le Dromadaire, c’est un peu pareil. Voyez son « D » : il ment puisqu’il n’a pas deux bosses, mais une seule.

Sur ce critère simple, le dromadaire n’est donc pas un chameau.

Oui, mais ça se complique : car le dromadaire est bel et bien un vrai chameau (camellus dromadiarus) – ni plus ni moins que le chameau (camellus bactrianus), contrairement à leurs charmants cousins d’Amérique…

Conclusion : si vous dites du chameau qu’il a une bosse, vous vous tromperez nettement moins que si vous dites du dromadaire qu’il en a deux.

 

*

*    *

… Je roulais en voiture dans le nord du Middle West avec des amis, sur une route de campagne qui longeait des sortes de fermes entourées de grands jardins discrètement clôturés. C’était une journée d’automne froide et ensoleillée, glorieuse dans les couleurs des érables et la douceur des transitions. Soudain, allongé dans l’herbe d’un enclos, un animal étrange. A côté de lui, un âne debout, des poules et des volailles diverses, peut-être même un cheval de trait ou une vache ou une chèvre – tout était doux et familier. Mais lui, non. Frappée de stupeur, et jetée comme hors de moi dans la parole, j’ai voulu, je crois, de façon irréfléchie, communiquer son étrangeté à mes amis. Mais je ne savais que répéter : « Oh, vous avez vu le… le… Là… Vous avez vu le… le… ».

En vérité, ce n’était pas seulement le nom qui m’échappait, mais l’identification elle-même. Mon cerveau ne réussissait pas à établir les bonnes connexions. Propulsée en avant d’elle-même, ma pensée n’était mue que par une évidence confuse : l’animal aperçu n’aurait jamais dû se retrouver là, dans la fraiche lumière automnale du Middle West. Mais l’émotion causée par son apparition, mon intense sympathie pour l’exilé, inhibaient tout, débordaient mes capacités à le reconnaitre.

            (Me vient – encore lui ! - l’image du capitaine Haddock bégayant des sons incompréhensibles lorsqu’il découvre, derrière Tintin, un ours menaçant (et n’est-ce pas encore une fois dans Le Temple du soleil ?))

            … Bien sûr, et moins d’un mile plus loin, son identité est enfin parvenue à ma conscience.

            C’était un dromadaire.

            (Non : un chameau ?).