Abécédaire

 

 
Topique n° 3
 
 


Hélène Merlin-Kajman

24/06/2017

 

 

Topos, en grec, ça veut dire « lieu ».

Ça a l’air très savant comme ça, mais en fait nous le savons tous sans le savoir parce nos préfixes sont parfois grecs : un toponyme est un nom de lieu (comme patronyme est le nom du père) ; la topographie renvoie aux cartes ou aux configurations d’un terrain.

(Attention ! « topaze » et « topinambour » n’ont rien à voir. Pas plus que « toper ».

Pourtant, là, ça aurait pu se défendre : « topons-là ! »…)…

 

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Mais un « topos » en français, ça veut dire un peu autre chose : ça veut dire « lieu commun ».

Ça vient de topos bien sûr. C’est antique, c’est cultivé, et ça donne « topique » en français. Je ne vous refais pas l’histoire : Jules Brown et Gilbert Cabasso vous ont vraiment tout dit …

Moi, je voulais seulement vous faire part d’une exaspération.

 

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Dans les années 70-80 du siècle dernier (bref, avant-hier), un jugement péremptoire est apparu dans la critique littéraire. À l’oral, on dira (car ça dure encore) : « c’est topique ».

Quand vous proférez ce jugement à propos du passage d’un texte jusque-là commenté avec naïveté et chaleur (ou terreur, ou ferveur, ça dépendait – mais parfois, rien de naïf du tout malgré les apparences), alors, d’un coup, vous ruinez toute hypothèse concernant sa vérité et rejetez son écriture du côté de l’artifice et de la technique…

 

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On avait d’abord eu les « isotopies » - très utiles, indéniablement : tout ce qui, dans un texte, se rassemble dans la même case – le même lieu. Supposez un poème d’amour truffé de références diverses à la mer (métaphores, comparaisons, allégories, connotations, etc) : voilà l’isotopie. L’isotopie, c’est de la structure et de l’imaginaire. Grâce à elle, on comprend comment travaille un texte : comment ça insiste, ça blesse, ça ravit…

 

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« Topique » désigne tout à fait autre chose : le réemploi plus ou moins réussi d’images, de figures, de schèmes déjà là, transmis par les générations antérieures d’écrivains et reprises par les suivants. Par exemple, la topique amoureuse : « Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie… » ; ou « un teint de lys et de rose » ; « belle comme le jour », etc. ; ou le topos de l’indicible (particulièrement épinglé pour dénoncer son abus, puisque ce sont des mots qui le disent).

L’idée, c’est que le langage engendre du langage, sans hiatus, sans trouble venu de l’expérience, sans débord émotionnel. Le sujet écrivant est un artisan, un illusionniste ; et le sujet lecteur, un illusionné, sauf s’il devient (c’est son salut) un lecteur critique sachant reconnaître le topos, quitte à apprécier éventuellement une réussite formelle, admirer une virtuosité (on le lui concède du bout des lèvres).

Comprise de la sorte, la topique, véritable terre brûlée du consentiment, installe dans les consciences une pauvreté d’expérience rapidement cynique.

 

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Pourtant, on pourrait la comprendre tout autrement.

Si l’on ne désirait pas l’amour, s’il ne nous avait pas été transmis comme une forme troublée, troublante, pourrait-on tomber amoureux (tiens ! une métaphore figée : topique en miniature incrustée dans la langue, elle dit bien le sentiment de vertige, l’attirance fatale qui nous frappe soudain…).

Pourrait-on tomber amoureux s’il n’y avait bel et bien du lieu commun dans l’affaire ?

 

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À nous deux, la topique…

Tu existes bel et bien, et nous mettons nos pas dans tes pas…

 

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Il y a mille manières d’aller