Abécédaire

 

 

Monstre n° 2




Boris Verberk

25/03/2017

 

 

 

L’enfant a peur des monstres, l’adulte des fantômes.

Peut-être est-ce parce que l’enfant se croirait immortel : il n’y a que de l’immédiatement présent autour de lui. Peut-être…

Enfantine donc, la peur du monstre ? Je ne pense pas.

Finalement, le fantôme a quelque chose de rassurant. Souvenir qui hante ou qui console. Quand bien même m’en voudrait-il, il ne peut m’atteindre qu’indirectement. Il est absent.

Le monstre est beaucoup trop présent. Je ne peux pas m’y dérober.

Elle est presque bienvenue, cette apparition fantomatique : elle me rappelle à quel point je suis bel et bien présent, moi, vivant, incarné, puissant.

Le monstre lui est en lutte contre moi ; nécessairement. Nos présences s’affrontent. Il n’y aura pas de communauté ; c’est lui ou moi.

Je peux calmer le fantôme, l’apaiser par des prières, des sacrifices, rompre la malédiction, le trauma qui le lie à la terre, le condamne à l’entre-deux.

Le monstre est un fou trop radical. Avec lui, c’est une lutte pour la survie.

Il n’y aura pas de vie avec lui. Pire, tant qu’il sera là, la mort sera presque enviable.

« Il vaut peut-être mieux être mort que se croire entouré de monstres, car on ne peut pas être vivant parmi les monstres », me dit un ami. Lui n’est pas un monstre.

Il parle de cet autre, qui ne vit plus et n’aime plus, trop terrifié, dévoré par la seule vision – l’hallucination – de la monstruosité. Le monstre est cannibale.

« Monstre ! », te dirai-je parfois en souriant. Mais que pour te rappeler à quel point tu n’en es pas un. Sans quoi je serais déjà dévoré.

Un peu comme un enfant qui conjure ses peurs en les jouant.

 

Peut-être faut-il ne plus avoir peur des monstres pour devenir adulte. Ne plus croire que l’autre me veut nécessairement du mal quand il m’approche. Être convaincu qu’il ne sera pas mon loup.

Ou bien que même les loups savent se tenir, porter des robes et des bonnets de nuit : bref, des humains comme les autres !

Ce qui fait le monstre, c’est peut-être qu’il n’a plus de place pour devenir. Alors qu’il aimerait sans doute pouvoir devenir grand-mère, amant, voisin, camarade de jeu.

Il ne s’agit pas de s’en défendre : de n’avoir confiance qu’en la règle, en l’ordre, au contrat. Au contraire. Il s’agit d’avoir confiance en l’autre.

Sans quoi, ne serai-je pas un monstre ?

Ce ne sont pas les règles qui rassurent. Qui musèlent le monstre. C’est parce que l’autre n’est jamais juste un monstre que je peux faire des règles avec lui. Et jouer.

Ne mords pas, s’il te plaît. Ne fais pas tes griffes sur mon bras. Promenons-nous dans les bois.

 

En enfant, j’aime les monstres qui n’ont pas peur de moi. « Moi non plus, je n’ai pas peur de moi », que je leur réponds.

En adulte, j’ai peur de ceux qui ont peur des monstres. Parce qu’eux ne sont plus là. Eux sont devenus des fantômes.