Abécédaire

 

 

Jukebox n° 1




Hélène Merlin-Kajman

25/02/2017





Le mot n’existe pas dans le Furetière. C’est dommage. J’aurais bien aimé connaître l’étymologie de Ménage.

À défaut je dirais que le juke-box dérive, par métonymie, par bruit et mouvement, par sourde angoisse et sourd désir, des coups de hanche des joueurs contre le flipper que dans les bars il côtoyait le plus souvent.

(Écoutez – ce sont des sonorités explosives et chuintantes , courtes comme des onomatopées mimant un jet de salive lancé ferme et précis pour faire un rond parfait dans l’eau).

La musique est crachée par un bras qui se détend à la manière d’une tentacule sous la vitre d’un aquarium de la modernité.

En ce temps-là ceux qui savaient le manipuler appartenaient à 2001 l’Odyssée de l’espace, ça me laissait loin sur le rivage dans mes jardins à la française envahis de toiles d’araignées l’année dernière à Marienbad.

Et moi qui n’ai pas aimé cette mauvaise musique d’ambiance et de torpeur, j’en aime la rumeur aujourd’hui très lointaine puisque j’ai des cheveux blancs.

Il se passait des choses dans les corps et des buveurs taciturnes regardaient la jeunesse s’exciter, dévorée d’attente et d’ennui – moi j’occupais un périmètre invisible aux premiers comme aux seconds, la musique ne m’emballait pas, elle m’absorbait comme eux pourtant.

Quand il est devenu manifeste que j’étais devenue visible, je ne savais toujours pas mettre un juke-box en marche mais je ne le désirais plus et cela n’avait plus d’importance.

L’objet m’est passé à côté et moi à côté de lui.

Mais il arrive qu’un objet comme ce gros bahut brillant, cette grosse machine à dégorger sons et chansons de ses tripes mécaniques, habite la mémoire même sans souvenirs et y fasse des trous mélancoliques comme des ronds dans l’eau...

Il faisait partie de l’air du temps, je ne le savais pas…