Abécédaire

 

 
Timidité n° 1
 
 


Jennifer Pays

18/06/2016



Voilà un mot bien long à prononcer pour celui qui en est la proie : « Je souffre de ti-mi-di-té ». A peine la première syllabe prononcée, il a le temps de rougir pendant les trois suivantes.

Le quotidien :

A l’écart, en observation ou en repli sur soi. Impossible d’aller vers, la peur domine.

Trop de troubles précèdent, voire empêchent, la prise de parole ou l’action : sueurs froides, rougeurs, mains moites, cœur remonté jusque dans la gorge nouée, soif.

La timidité peut signifier une souffrance – un sentiment d’infériorité par rapport aux autres, creusant l’écart, faisant croire qu’il y a un monde entre les imparfaits et les autres, ces grands monstres de perfection – mais aussi la pudeur, une certaine forme de civilité. La timidité a ses bons côtés.

Des pensées…et puis un jour, l’action :

Se lancer, oser malgré les tremblements légers, le rythme cardiaque élevé, la bouche pâteuse, la peau recouverte d’une pellicule d’eau, la voix tremblante. De l’individuel au collectif : une coquille éclatée, une naissance, l’ouverture.

Un souvenir :

Classe de quatrième. Celle que les professeurs appelaient « la rebelle », celle qui se considérait comme la porte-parole de la classe, lançait régulièrement : « Moi je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas ! ». Et je me disais tout bas… « Mais euh… je ne pense pas ça. Et puis comment fait-elle pour oser prendre la parole comme ça, sans rougir, sans balbutier ? ». Sa justification quant à sa prise de parole était peut-être l’aveu d’une nouvelle forme de timidité : osait-elle vraiment dire ce qu’elle pensait ou avait-elle peur de devoir endosser seule la responsabilité de son propos ? Se cachait-elle derrière le collectif en préférant prendre toute la place plutôt que de rester à la sienne ? Etait-elle surtout la porte-parole des timides ? On ne savait finalement rien d’elle, elle se taisait dès qu’il s’agissait de parler d’elle-même. C’était une profonde discrète.