Abécédaire

 

 
Sottise n° 1
 
 


Jules Brown

11/06/2016

Le Dictionnaire étymologique et historique de la langue française donne pour « sot » une première occurrence au XIIe siècle et ajoute, notation que je trouve troublante : « origine obscure » (« orig. obsc. »).

Y a-t-il un terme linguistique qui permette de catégoriser les mots qui disent à la fois la cause à l’origine de la chose et la chose elle-même ? « Sottise » (comme « bêtise » d’ailleurs) peut aussi bien désigner le truc qui, chez le sujet (le « sot »), explique qu’il ait (mal) agi que le truc par lequel se concrétise ce mauvais agissement. La sottise (le principe) produira la sottise (l’acte), parfois en série, et, inversement, de la sottise (l’acte), on déduira la sottise (le principe), parfois profonde.

Plutôt que de chercher le terme technique existant (s'il en y a un, qu'on me le dise), on pourrait nommer ce genre de phénomènes linguistiques des cas de « la-poule-ou-l’œuf ». S’agit-il vraiment d’une catégorie ? Il y a « sottise », il y a « bêtise ». Cela fait deux, ce qui n’est déjà pas si mal. Il y en a probablement beaucoup d'autres mais, remarquons-le en passant, « intelligence » n'en fait pas partie.

« Sottise » est un mot que je n’aime pas. Je trouve qu’il a une brutalité sèche et indifférente. Il n’y a aucune place pour le sujet. Je pense que c’est le gros problème avec les mots « la-poule-ou-l’œuf » : de l’origine à la chose, il n’y a même pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes. Le principe est l’acte, l’origine est la chose ; aucun procès, aucun devenir, aucun conatus.

Mais vous me direz : « il y a pourtant un sujet, le sot ! », auquel cas je répondrai : « c’est vrai mais c’est tout le problème : le sujet est écrasé entre le principe et l’acte, il n’a même pas de quoi respirer; entre la cause qui le précède et la conséquence qui le suit, il s'étouffe, il disparaît ».

Quand j'étais enfant, j'avais une vieille tante, Patty, qui qualifiait tout et son contraire de sottise. Jamais, vraiment jamais, je ne me suis senti si honteux que quand j'étais la victime de son unique commentaire. Je rougissais, j'avais l'impression de me liquéfier. A la fin de sa vie, ce mot était tout ce que la sénilité lui avait laissé. Elle marmonnait « sottises, sottises », en boucle et sans personne à qui l'adresser en particulier. C'était comme si, à force de disqualifier le monde par ses jugements écrasants, elle avait fini par être elle-même ensevelie entre la cause et l'effet, par s'évanouir comme sujet.

De là, je ne m'étonne pas (et ce sera mon dernier argument) que l'origine de « sot » soit obscure. Le sot est un être tragique appelé à disparaître sans laisser de trace. Il ne restera jamais que la « sottise» qui est la négation de tout devenir, de toute histoire. Oui, les mots « la-poule-ou-l’œuf » ont un côté vraiment détestable.

Sauf « bêtise ». Car « bêtise » est sauvé par son « » qui en fait un mot pour les enfants (baba, bébé, bêtises) et pour les bonbons (de Calais).