Abécédaire

 

 
Drame n° 2
 
 


Tiphaine Pocquet

28/11/2015

 

Il arrive que le mot s’étale en gros caractères, presque en lettres de sang, obstruant tout. On est tenté alors, un instant, de renoncer face à la sidération, le silence et l'impossible consolation. Ça a été le drame absolument, la mort des âmes : aucune envie de le définir, celui-là.

Mais drame n'est pas tragédie, drame n'est pas massacre : accrochons-nous aux distinctions et creusons le terme par l'histoire. L'étymologie d'abord nous fait du bien : en voilà, un mot ancien, du grec drama, « action », qui renvoie à toute action théâtrale.

Puis le mot prend un sens spécifique pour désigner au XVIIIe siècle une forme intermédiaire entre comédie et tragédie. Le drame va rarement seul : bourgeois, symboliste, romantique, liturgique, historique et moderne, il se décline, se raffine  dans un cortège d'adjectifs infini.  Enfin, vint Hugo et son sens de la synthèse, faisant du drame, « ce qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie ». Étonnante forgerie dans laquelle des métaux s'allient, bel âge de la dialectique où les contraires s'attirent, « miroir de réflexion », en un mot : drame.

Sa définition par la  négative (ni la grande tragédie, ni la joyeuse comédie), son « impureté » constitutive  en font un mot sympathique quoique peu pratique peut-être. Et certains lexicographes de conclure laconiquement : « L’intérêt de ce mot dans l’histoire des formes dramatiques, réside précisément dans la souplesse et la diversité de ses acceptions et des concepts qu’il désigne[1] ».  Souplesse, il n'est que de voir  les nombreux drames et autres comédies dramatiques sur nos écrans de cinéma. On aime particulièrement le mot de « dramaticule », forgé par Beckett, qui ridiculise un peu nos penchants dramatisants.

Il y a de la légèreté dans ce mot. En d'autres temps, nous aurions confié notre tendresse secrète pour son irrisation, sa grandiloquence contenue. Mais nous préférons terminer sur un souvenir proche. Des éclats de rire avec ce jeune homme rencontré à un colloque, plaisantant sur Pipo et Pepe à gorge déployée, son visage de Pierrot romantique et le lendemain matin, l'entendre parler de l'enterrement de son ami d'enfance, prévu le soir même, un tremblement dans la voix. Quelque chose du tissage de nos drames.

[1] Lexique des termes littéraires, sous la direction de Michel Jarrety, Livre de Poche, 2001.


Powered by : www.eponim.com - Graphisme : Thierry Mouraux   - Mentions légales                                                                                         Administration