Mathilde Faugère

Virginie Huguenin

 


Juin 2016

 

Des difficultés techniques nous avaient empêchés de publier la lettre de juin, la voici donc, en attendant celle de juillet !



Un petit peu de guérir

Sandor Ferenczi s’interroge en 1932, dans son Journal clinique, sur « Ce qui guérit dans la psychothérapie (Healing) ». Découragé lui-même par le découragement de ces patients qui le trouvent « inutile et impuissant à aider », il doute de l’utilité du jugement dans la psychanalyse et finit par se dire qu’« Insérer ce "guérir" dans la psychothérapie de la façon qui convient et à la bonne place n’est certainement pas une tâche tout à fait indigne ». Guérir, soigner, sauver. Healing.

« Un petit peu de guérir », sauver un petit bout, voilà bien ce qui occupe une partie de nos textes, et particulièrement les Convergents de ce mois-ci. Beaucoup d’entre eux tentent de se guérir de quelque chose, de sauver quelque chose et racontent. « On raconte pour transmettre, n’est-ce pas ? Et ce qui est transmis est sauvé… » Voilà un espoir de François Jacquet-Françillon, qui évoque sa mère, sauvée de la déportation au contraire de ses grands-parents : espoir des points de suspension, espoir du « un petit peu de guérir ».

Guérir ? Sauver ? Sauver quoi ? Sauver la mémoire, les circonstances, comme tente de le faire Alexievitch dans ses récits et dans celui que commente, en saynète, Benoit Autiquet. Sauver un passé «dont tout, désormais, nous sépare », comme le fait Gilbert Cabasso en racontant l’Egypte, « les récits parentaux » et la restitution d’un Taleth, don qui « oblige » en retour.

Mais sauver, guérir, de quoi ? Des catastrophes du passé, des spectres qui hantent le présent. Se sauver soi-même de cette peur au ventre de l’impossibilité du lien, de la compréhension. Gilbert Cabasso, toujours, dans sa saynète sur Pascal Mercier, ouvre une question, ne la ferme pas : et si l’entente n’était « qu’une fiction, le travestissement de nos différences ? », et si nous étions condamnés, emmurés dans « l’indépassable séparation de notre solitude » ? « Un petit peu de guérir ». Où le trouver alors ? Henri Ekman nous donnerait-il une piste ? Ses personnages ces semaines-ci sont seuls et pourtant on voit apparaître, dans certaines des peintures, un autre : une image peinte.

Sauver donc, mais que sauver alors ? Comment savoir ? Anouk Siboni s’interroge, en colère. Se sauver de la culpabilité « quant au don », quantodon ; « je » se sauve d’être la « fille descendante directe de ses mères », de s’être retrouvée/placée elle-même dans la position du cancre. « Je » se demande ce que c’est que se sauver quand on se sauve des siens. S’agit-il de sauver en courant ?

Helio Milner pose la même question, autrement, dans « Les Membres et l’estomac ». Il réécrit les fables il les garde et s’en sauve, poussé par l’enfant qui appelle à raconter pour « Pour donner de l’espoir, pas pour [lui] parler du désespoir de [ses] arrière-grands-parents. »

« Un petit peu de guérir » -- Comment enfin ?

Le rire ? Hélène Merlin-Kajman et Brice Tabeling discutent par définition interposée du ridicule : l’une lui préférant le rire de l’humour, l’autre pensant qu’en riant du ridicule de l’autre on ne rit finalement que de soi-même. Le ridicule, ambivalent donc : que penserait la « Très Jeune Fille » de la Cendrillon de Pommerat du rire qu’elle suscite chez les spectateurs (Virginie Huguenin) ?

Le sexe ? Pour Gilbert Cabasso, Hélène Merlin-Kajman et Michèle Rosellini, la même question revient : en parler, ne pas en parler ? Comment ? Avec sottise sans doute (non, attendez, Jules Brown nous dit que le mot est « détestable »), ou légèreté, ou sérieux ou sagacité (à la manière du lecteur « subtil » décrit par Michèle Rosellini donc...)

La rime alors ? Peut-être qu’elle soigne dans la définition de Natacha Israël, lorsqu’elle se transforme dans la voix en « frottements du sentiment sur les replis de la complexion intérieure ». Elle est « endurante » en tout cas comme nous l’explique François Cornilliat, elle est là quand on l’attend et quand on ne l’attend pas. Résilients comme une rime...