Séminaire

Séance du 19 mai 2014

 

 

Préambule

Il y a des rapports, dans l’histoire, qui ne se découvrent qu’au regard littéraire, démontre de manière passionnante le dernier ouvrage d’Uri Eisenzweig (Naissance littéraire du fascisme, Paris, Seuil, 2013). Le rapport, par exemple, entre l’ère des attentats (février 1892-août 1894) et l’Affaire Dreyfus ; le rapport de symétrie inversée entre les attitudes de Bernard Lazare et de Maurice Barrès après la découverte du vrai coupable – le retrait de l’un, l’investissement de l’autre. Et, au cœur de tout cela, l’élaboration, pour la première fois d’une pensée organique de l’identité nationale, indissociable de la haine pour « ceux qui n’en sont pas », pensée même dont se nourrit le fascisme. Pour voir ces rapports et les comprendre, il a fallu repérer la crise du récit qui se produit alors, la crise du rapport entre littérature et vérité – ce qu’a rendu possible pour U. Eisenzweig son travail sur le roman policier, genre qui procède lui aussi de l’impossibilité de raconter.

Les études littéraires offriraient ainsi une voie d’accès aux blancs laissés par l’historiographie. Du travail sur les textes littéraires, on peut donc dire « qu’il n’est pas luxe ni un caprice, mais qu’il est incontournable pour l’appréhension du social et de l’histoire » (U. Eisenzweig). Et de la littérature, sur la littérature ? Qu’est-ce que cela nous dit de sa capacité à toucher le réel ?

Rien. Il faut surtout, selon U. Eisenzweig, « ne pas céder à l’illusion narcissique qu’on peut agir en parlant ». Et si le regard dont il parle « vient bien de sa lecture des textes littéraires », ceux-ci n’ont en eux-mêmes rien à faire avec le réel. Qualifier de « littéraire » la naissance du fascisme ne serait donc rien de plus que « signaler un lien contingent », constater qu’« il se trouve que c’est arrivé en littérature » (G. Bridet).

Rien de plus ? Nous n’en sommes pas convaincus, à Transitions. Sinon, nous aurions un autre nom. Mais c’est loin d’être simple. Il n’est sûrement pas inutile d’essayer de comprendre ce qu’il y a à sauver dans l’affirmation d’une séparation radicale entre langage et réel, littérature et passage à l’acte (H. Merlin-Kajman). Pour mieux revenir à « ce qui cloche ».

S. N.

Uri Eisenzweig enseigne la littérature à l’Université de Rutgers, dans le New Jersey (Etats-Unis). Il est l’auteur de quelques livres, dont Territoires occupés de l’imaginaire juif (Christian Bourgois, 1980), Les jeux de l’écriture dans “L’êtranger” de Camus (Lettres modernes, 1983), Autopsies du roman policier (10-18, 1983),  Le Récit impossible (Christian Bourgois, 1986), Fictions de l’anarchisme (Christian Bourgois, 2001), et Naissance littéraire du fascisme (Seuil, 2013). Dans sa vie privée, Eisenzweig joue du piano, adore le jazz et ne supporte pas que l’on dise du mal de Barack Obama.

 

 

 

 

Rencontre avec Uri Eisenzweig

Pour une pratique intersticielle de « l'étude » littéraire

 

 
 

29/11/2014

 

 

Présents : Emran Al-Amin, Benoit Autiquet, Pierre-Antoine Bourouin, Guillaume Bridet, Gilbert Cabasso, Maren Daniel, Mathilde Faugère, Lise Forment, Constance Giroux, Alexis Hubert, David Kajman, Natacha Israël, Emmanuel Laurin, Hélène Merlin-Kajman, Sarah Nancy, Jennifer Pays, Guillaume Pinta, Jean-Louis Repelski, Fanny Siaugues.

 

 

Plan de la séance :

Introduction par Hélène Merlin-Kajman

01 : 04 : 48 Exposé d’Uri Eisenzweig

00 : 43 : 10 Question d’Hélène Merlin-Kajman : T’ai-je bien compris si je dis que tu montres que les littéraires ont quelque chose à dire de la façon dont les récits, le théâtre, le roman, la poésie informent les sujets non seulement en tant qu’individus, mais au niveau des connexions intersubjectives ? Qu’ils peuvent repérer des homologies causales qui informent le social ? Ensuite, ce que tu analyses comme impossibilité du récit n’a-t-il pas à voir avec la sorcellerie ? Je me demande enfin pourquoi tu ne mobilises pas le concept de mythe pour distinguer entre différentes modalités de l’absence de récit.

01 : 07 : 29 Question d’Hélène Merlin-Kajman : Ne peut-on pas aussi dire que ce que tu remarques, c’est un moment où le regard sur l’histoire est informé par la littérature ? Je trouve que le parallèle avec le texte de Barthes sur « L’Affaire Dominici » est frappant.

01 : 13 : 19 Question de Jean-Louis Repelski : Quel rapport peut-on faire entre ce que vous dites et le fait qu’il y a toujours eu une demande, dans les journaux, de romans policiers et de feuilletons où il y avait du sang ? Autre chose : ne serait-ce pas intéressant de prendre en compte encore deux éléments relatifs à l’affaire Dreyfus : le fait qu’à la fin de l’Affaire, Dreyfus se sente coupable ; et le fait que l’affaire produise une littérature, avec Herzl ?

01 : 19 : 46 Question de Mathilde Faugère : Y a-t-il eu dans les documents contemporains des liens faits entre les deux procès, entre les attentats et l’Affaire Dreyfus ?

01 : 22 : 44 Question de Sarah Nancy : En vous écoutant, on entend surtout l’importance de l’usage d’un certain regard en littéraire. Mais quel est le rôle dans cela des textes littéraires eux-mêmes ? Est-ce qu’il y aurait des styles de textes littéraires, voire des genres qui sont en prise avec le réel d’une certaine manière ? Autrement dit, comment entendez-vous notre projet de penser le texte littéraire lui-même comme capable d’être en prise sur le monde d’une certaine façon ?

01 : 31 : 28 Question d’Emran Al-Amin : J’ai été étonné que vous ne parliez pas de la représentation des foules dans votre livre. Est-ce un parti-pris ?

01 : 37 : 59 Question de Guillaume Bridet : Pensez-vous, comme le suggère le titre de votre livre, qu’il y ait un type de littérature qui suscite la naissance du fascisme ? Ou que quelque chose dans la littérature suscite la naissance du fascisme ? Et dans quelle mesure votre propos porte-t-il un jugement de valeur sur un certain type de littérature ?

01 : 47 : 09 Question de David Kajman : Entre l’action et la littérature, que vous avez bien cherché à séparer, où placez-vous Lazare ? Du côté de l’écriture ?

01 : 50 : 41 Question d’Hélène Merlin-Kajman : Pourquoi faut-il que tu arrives à des distinctions si nettes entre ce qui est de la littérature et ce qui ne l’est pas, entre le langage et le réel ? Qu’est-ce qu’il faut sauver quand on sépare ainsi le réel de la littérature ?

Noms propres et œuvres cités dans la discussion :

Uri Eisenzweig, Territoires occupés de l'imaginaire juif : Essai sur l'espace sioniste, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1980.

Uri Eisenzweig, Le récit impossible : Forme et sens du roman policier, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1986.

Sherlock Holmes

J.-K. Huysmans, À rebours

Honoré de Balzac

Emile Zola

Emile et Jules de Goncourt

Stéphane Mallarmé

Edgar Allan Poe, « Double assassinat dans la rue Morgue », « Le mystère de Mary Roget », « La Lettre volée » (trad. Ch. Baudelaire) - Le chevalier Dupin

Bernard Lazare

Maurice Barrès, Les Déracinés.

Georges Clémenceau

Alfred Dreyfus

Ferdinand Walsin Esterhazy

Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo.

Jean-Luc Nancy, La communauté désoeuvrée.

Philippe Lacoue-Labarthe, Le Mythe nazi.

R. Barthes, « L’Affaire Dominici »

Theodor Herzl

Jean Maitron

Georges Darien

Arthur Meyer

Henry Fielding, Tom Jones.

Lucien Herr

La Revue blanche

Ludovic Trarieux

Zeev Sternhell

Gustave Le Bon, Psychologie des foules, 1895.

M. Barrès, L’Appel au soldat

Joseph-Arthur de Gobineau

Octave Mirbeau

Pierre Drieu la Rochelle


 

 

 

 

 

 

 

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