Transitions à Cambridge

Deux rencontres avec le Département de Français, 19 et 20 novembre 2012

 

 Préambule

  Quand le site a ouvert, en septembre 2011, le département de Français de Cambridge nous a donné son soutien unanime et enthousiaste. Formidable encouragement, qu’ont prolongé les contributions des uns et des autres au site et au colloque « “Littérature” : où allons-nous ? ». Nous attendions donc avec impatience le moment où nous pourrions prendre le temps, ensemble, d’une vraie discussion sur les enjeux du mouvement – et c’est ce que la rencontre de novembre a permis. Les membres de Transitions qui avaient traversé la Manche ont commencé par revenir sur le projet, dans l’élan des débats du colloque d’octobre. Oui, nous voulons avancer, sortir du traumatisme des guerres mondiales et du génocide mais sans éluder le « devoir de mémoire », sortir de la mélancolie que produit la « conviction que le néo-libéralisme veut la mort des humanités », mais « sans faire du passé table rase ». Nous voulons « opérer un tournant sceptique à l’égard du souci passionné de scientificité qui a caractérisé la modernité, non pour se replier sur un humanisme un peu fade et vague, mais pour renouer avec des questions, des usages de la littérature et de la langue trop longtemps réputés naïfs » (H. Merlin-Kajman). Le mot « littérature » ? Si nous pensons important de le « conserver », c’est pour, d’une part, « reconnaître l’expérience de ces deux derniers siècles où il a pu désigner un ensemble d’œuvres susceptibles de prendre en charge, souvent polémiquement, la question du commun » et, d’autre part, « suggérer que cette fonction se réalise de manière non pas exclusive mais prééminente à travers un jeu esthétique, symbolique, sur la langue et les récits » (B. Tabeling). Cela suppose de repenser le corpus, moins pour l’« élargir » et le « recontextualiser » que pour le considérer à l’aune de la « transmission » de la « transhistoricité » (L. Forment), à l’aune de sa « capacité à mettre en relation le sujet avec le monde de manière intense et heureuse » (S. Nancy). Et cela suppose donc aussi de porter une attention extrême à l’enseignement, pour le rêver comme « espace de “développement et d’expérience” », plutôt que comme « responsabilisation peut-être prématurée que suppose l’esprit critique » ou comme « dessein didactique dans le modèle objectiviste ou la carence de toute subversion, de toute opposition, de toute immaturité que sous-tend le modèle humaniste par son impératif d’héritage » (M. Ecoeur).

Projets, convictions, convergences… et contradictions, différences ! Les discussions s’en sont nourries. Car peut-on se satisfaire « sans distinctions » de la vision inclusive de Winnicott « faisant de la culture entière un espace transitionnel », parlant donc aussi du « sentiment religieux » (N. Hammond) ? Et comment articuler ces deux facettes de la transition que nous convoquons tour à tour : la « transition comme passage d’une époque à une autre », invitant à se tourner « vers la littérature qui a démontré sa durabilité », et la « transition plus horizontale », favorisant une dislocation des corpus ? (B. Burgwinkle) Et que faire avec ce qui, dans la littérature, ne fait pas du bien ? la violence, l’horreur, qui font « sortir du symbolique » (H. Merlin-Kajman) ? Doit-on s’en remettre au plaisir de « dépiauter » le texte, dont parle Jean Kaempfer, ou faire confiance à la « métaphore » (E. Gilby) pour nous protéger, pour protéger ceux à qui on la transmet ? Enfin, si tel est le but de l’enseignant : « protéger du traumatisme », comment éviter le risque des « lectures moralisantes » (N. Hammond) ?

Entre autres transitions, la Manche ! Pas de train-train possible avec de telles traversées.  

S. N.

 

 

 

 

 

Transitions à Cambridge

Deux rencontres avec le Département de Français, 19-20 novembre 2012

 

 

 
 

30/03/2013

 

 

 

Lundi 19 novembre : Hélène Merlin-Kajman, Brice Tabeling, Lise Forment, Sarah Nancy et Mathias Ecoeur présentent quelques aspects de la réflexion de Transitions, en lien avec le colloque organisé à Paris du 3 au 5 octobre 2012 : « “Littérature” : où allons-nous ? ».

Hélène Merlin-Kajman

Je suis particulièrement contente de me retrouver ici, à Cambridge, où j’ai eu la chance d’être détachée pendant un semestre il y a presque deux ans auprès de votre département (le « French department ») et sur votre invitation. Et je profite de l’occasion qui nous rassemble pour vous remercier d’avoir apporté votre soutien unanime et enthousiaste à Transitions quand nous avons ouvert le site en septembre 2011. C’est la première fois que nous nous rencontrons pour en discuter. Comme vous l’avez souhaité, nous allons successivement, moi d’abord, puis Brice Tabeling, Sarah Nancy, Lise Forment et Mathias Ecoeur, tous membres du bureau de Transitions, vous présenter un aspect de notre engagement dans ce mouvement, avant de vous laisser la parole.

Le projet de créer un mouvement « littéraire » (en un sens de l’adjectif qui reste à préciser) est né comme le point d’aboutissement logique (mais avec une part de « saut », de pari, donc, en ce sens, indérivable) d’une série de réflexions théoriques, de pratiques collectives passées, de rencontres individuelles et du sentiment que des perspectives générationnelles différentes (les perspectives de différentes générations) convergeaient vers un horizon d’attente commun.

Un mouvement : il s’agit en effet de dynamique. Et il m’a semblé que la meilleure manière de vous présenter cette dynamique, c’était, paradoxalement, de repartir d’un texte qui date de 1989, de Claude Reichler, professeur à l’université de Lausanne qui vient de prendre sa retraite.

Dans les années soixante, l’étude des textes littéraires constituait un centre d’intérêt fondamental, dont la valeur heuristique et didactique ne faisait de doute pour personne. Les réflexions et les recherches se multipliaient dans un foisonnement et une qualité d’écriture qui firent du commentaire un genre majeur. Plus récemment, notre discipline est apparue comme un champ ravagé. Histoire littéraire, critique, sociologie ou sociocritique, psychanalyse, psychocritique, sémiologie... –, tout cela avait cessé d’être conçu comme les ramifications d’un vaste territoire de la pensée, et ne constituait plus que les parcelles d’un domaine imprécis et mal défendu. Aujourd’hui, les manifestations d’un renouveau d’intérêt pour la littérature et les lettres sont constantes. Pourtant, impossible de revenir simplement aux triomphes de naguère, marqués par une fausse autonomie du littéraire et par une hypertrophie du linguistique. Impossible tout autant d’en appeler aux recettes d’une culture humaniste ou historienne. C’est à partir d’autres besoins qu’on a recours à la littérature, c’est pour lui faire jouer d’autres rôles qu’on invoque ses pouvoirs et ses vertus.

Comment cerner les difficultés que rencontre le praticien des textes ? Comment lui rendre à la fois la conscience du caractère irremplaçable de son objet, et la confiance dans l’aspect complexe et mouvant de ses études ? Peut-on prendre des divers problèmes qui se posent aux métiers littéraires, une vision qui leur donne un sens, qui permette de les situer réciproquement, de les comparer, et finalement, de construire une perspective unifiante ?[1]

Dans l’« Avant-propos », il donnait des précisions sur la situation d’alors :

Entre l’empirisme, qui ne constate que des différences, et l’idéalisme abstrait, qui ne voit partout qu’une même structure, trois conceptions semblent aujourd’hui confrontées : la philologique, qui relève d’une épistémologie positiviste, pour laquelle il est possible de connaître un texte de plus en plus complètement, en cumulant les modes d’approche ; la post-structurale, pour laquelle on ne saisit jamais que les effets qu’engendre la textualité, perpétuelle pourvoyeuse d’idéologies et de savoir plus ou moins mythiques ; l’herméneutique, qui met l’accent sur le sujet de l’interprétation et s’efforce d’allier œcuméniquement les méthodes et les techniques.[2]

Je pense que ce diagnostic rendu en 1989 vous saisit autant que moi. Il y a un mois et demi, Transitions a organisé, avec François Cornilliat, professeur de littérature française des XVe et XVIe siècles à l’université de Rutgers, un colloque intitulé « “Littérature” : où allons-nous ? ». Le même constat d’un « champ ravagé », les mêmes questions – ou peu s’en faut –, formaient notre point de départ et ont trouvé un fort écho chez nos collègues, diagnostic aggravé sans doute par le fait qu’au-delà de nos cercles étroits de spécialistes (de spécialistes de spécialités de plus en plus étroites et séparées), il n’est pas facile de constater aujourd’hui de « manifestations d’un renouveau d’intérêt pour la littérature et les lettres », tandis qu’à l’inverse, nous assistons de toutes parts à des appels « aux recettes d’une culture humaniste ou historienne ».

Que s’est-il passé depuis 1989 qui fait que la discipline ait échoué à « construire une perspective unifiante » ? Le texte de François Cornilliat intitulé « La rhétorique revient : où va la littérature ? », publié sur le site de Transitions et issu d’une conférence prononcée en 2003, nous donne un complément de réponse : les textes littéraires ont été relus à la lumière de l’histoire de la rhétorique pour les périodes antérieures à la Révolution française, ou à celle de l’analyse de discours ancrée dans la sociologie bourdieusienne pour les périodes postérieures (ou parfois à un mixte des deux approches).

Mais il est frappant que pour répondre à la situation, en 1989, Claude Reichler ait :

1 – dirigé un volume collectif où figuraient des chercheurs si différents qu’aucune synthèse n’était possible, d’autant qu’ils ne dialoguaient pas.

2 – écrit un texte programmatique d’une qualité exceptionnelle, mais d’une densité et d’une difficulté théoriques inouïes, qui témoigne de l’importance qu’avait encore la théorie littéraire dans ces années-là.

Transitions est parti d’un souci inverse, presque « naïf », ce qui ne signifie en rien tourner le dos à la théorie. Nous voulons offrir un lieu pour que les regards convergent. Nous demandons aux contributeurs de faire un pas de côté, ou un pas en arrière, au sens du « recul », par rapport à leur compétence, ou à ce qui fonctionne tout seul dans nos recherches dès que le soubassement théorique ou méthodologique paraît bien assuré. Dans les réponses au questionnaire sur la littérature, réponses que nous publions régulièrement, celles des enseignants-chercheurs illustrent un clivage révélateur : ils demandent l’anonymat ou répondent sous pseudonyme, comme si leur rapport ordinaire et personnel à la littérature risquait de conduire leurs lecteurs à soupçonner leur compétence professionnelle. C’est l’évidence d’un tel divorce qui nous a mobilisés. Il a des conséquences, en miroir : nombreux sont les étudiants désemparés par ce qu’on leur apprend dans les cours de littérature, et qui leur semble souvent désincarné d’une part, désespéré, d’autre part.

Les années 1960, 1970 et probablement encore 1980, ont été marquées par les avant-gardes et le slogan « Du passé faisons table rase » : il fallait rompre.

Mais à côté de son aspect politique, révolutionnaire (or la révolution n’est pas venue), un tel mot d’ordre avait sans doute quelque chose de conjuratoire, comme j’essaie de le montrer dans le livre que je suis en train de terminer, et aujourd’hui, le passé nous hante : nous sommes, me semble-t-il, pétrifiés dans une mélancolie qui prend deux formes :

– le devoir de mémoire

– la conviction que le néo-libéralisme veut la mort des humanités (d’où le mot d’ordre omniprésent du « sauvetage des humanités »).

Nous avons choisi ce nom de « Transitions » en référence à la théorie de Winnicott portant sur l’espace transitionnel, pour réouvrir l’avenir, sans pour autant en passer par la figure de la rupture.

Le paradoxe, bien sûr, à ce niveau-là, c’est d’avoir écrit un manifeste. Mais c’est un manifeste de relance, si je puis dire, « un manifeste de moins » selon l’expression de Deleuze (cf. mon exergue). Nous voulons lutter contre tout dogmatisme, même si nous ne voulons pas non plus être une auberge espagnole. Faire transition : c’est-à-dire sortir de la double mélancolie que je viens d’évoquer sans faire du passé table rase ; relancer, c’est-à-dire provoquer des élans. D’où le premier thème théorique que nous avons proposé à la réflexion, entre pratique et théorie : la beauté. C’est audacieux, car nous avons conscience des risques de retour à des formes de dévotion de la littérature : ce n’est pourtant vraiment pas ce que nous cherchons. Mais de nombreux collègues ont répondu à l’appel, comme nous l’entendions...

Pour conclure très provisoirement, il me semble urgent d’opérer un tournant sceptique à l’égard du souci passionné de scientificité qui a caractérisé la modernité, non pour se replier sur un humanisme un peu fade et vague, mais pour renouer les liens avec des questions, des usages de la littérature et de la langue trop longtemps réputés naïfs, sans céder pour autant sur la rigueur de la réflexion.

Brice Tabeling

Winnicott voyait dans la culture la forme sociale de l’aire transitionnelle du nourrisson, dont la santé psychique s’altérait s’il en était privé.

Nous le pensons de la littérature, sans nostalgie du doudou. Et l’appelons grande, et bonne.

Le passage que je viens de lire est extrait du manifeste de Transitions. Il constituera l’horizon de mes remarques autour de l’usage du terme et de la notion de « littérature », au sein de notre mouvement. Un tel horizon implique de répondre à deux questions : d’abord, pourquoi s’en être remis à Winnicott pour appréhender la littérature ? Qu’est-ce qui nous a amené à suspendre les définitions plus traditionnelles de l’institution universitaire (française) et à privilégier une approche en termes d’activités psychiques ? Ensuite, pour conclure, quels enjeux attachons-nous à cette décision d’appeler la littérature « grande et bonne », décision présentée non sans emphase dans le manifeste ? Pourquoi nous est-il important de qualifier positivement la littérature, d’assumer une qualification ?

Nous pourrions partir, très simplement, du mot « littérature » et de la difficulté en français de son emploi. L’intitulé de la première session du colloque organisé début octobre à Paris 3 était « « Littérature » : abus de langage ? Illusion de continuité ? ». Le terme de « littérature » était mis entre guillemets. Un tel titre tentait de rendre compte d’une double perplexité à l’égard de la notion. Perplexité philologique tout d’abord : l’usage actuel du terme français de « littérature » pour décrire une catégorie d’écrits ayant une finalité principalement esthétique date du XVIIIe siècle. Les œuvres des siècles qui précèdent et que nous reconnaissons aujourd’hui comme textes « littéraires », ont eu d’autres appellations : les « Belles Lettres » au XVIIe siècle, les bonae litterae à la Renaissance, res literaria, etc., qui ne recoupent pas, loin de là, le sens moderne.

Or, l’institution française maintient, pour qualifier son corpus et ses activités critiques sur les textes, le terme de « littérature » au prix parfois d’un contresens sur le statut historique et la signification des œuvres étudiées. Abus de langage donc ? L’usage du mot de « littérature » assourdit-il ce que les textes et les pratiques ont pu avoir de singulier selon les âges et les lieux ? Parlons-nous véritablement du même objet quand nous disons, en français, mais parfois devant un public anglophone, « littérature » ? De là – et c’était le deuxième élément de perplexité contenu dans le titre de cette première session –, y a-t-il en dehors de notre usage du mot, la moindre continuité entre les choses mêmes dont nous traitons ? La poésie anacréontique peut-elle s’analyser dans le même souffle et à l’aide des mêmes outils, à partir d’un même postulat sur ses fins et ses moyens, que tel sonnet de Baudelaire ou que les poèmes de circonstance de Théophile de Viau ?

Ces considérations ne sont pas originales mais elles ont pris, en France pour le moins, une importance nouvelle du fait que « la littérature » a cessé d’être le « centre vital des humanités » (voir : la présentation de Transitions), moins d’ailleurs par l’effet d’une multiplication de medias concurrents que par affaiblissement, précisément, de ce rapport continu qui permettait à la culture de se transmettre et de se discuter à travers ce qui se nommait et se nomme parfois encore littérature. De là, cette acuité récente des problèmes posés par le « mot » et « la chose » et cette tendance à substituer à l’un et à l’autre de nouveaux découpages, moins tributaires des contradictions que je viens d’évoquer. Le développement actuel des études rhétoriques naît ainsi en partie de ce souci (voir le texte de François Cornilliat, « La rhétorique revient : où va la littérature ? »). La substitution de la rhétorique à la littérature permet en effet de régler à la fois le problème philologique et celui de la continuité historique, en rapportant les œuvres à un champ de théories langagières attesté dès l’antiquité et, surtout, en relançant le projet de transmission culturelle que « l’empire rhétorique » a pu porter tout au long de l’histoire occidentale.

Pour autant, une telle perspective, si elle semble avoir l’avantage d’une plus grande rigueur théorique et historique, rejette en dehors de son champ d’application un certain nombre de pratiques contemporaines de la littérature. D’une part, les études modernistes ne sont pas véritablement concernées par les scrupules historiographiques des spécialistes des siècles précédant la Révolution. D’autre part, les usages courants de la littérature, comme l’attestent les réponses au questionnaire proposé par Transitions, continuent à tenir une forme de rapport immédiat, ému, et, à sa manière, évident, à la littérature. « Evident » : je veux dire par là qui n’anticipe pas son approche des textes (classiques ou non) par une requête en érudition mais se laisse porter par la spontanéité de sa rencontre (littéraire) avec l’œuvre. Les thèmes de réflexion proposés par le site, comme « la beauté » ou « le contresens » sont ainsi autant de points aveugles des approches historisantes : le beau a-t-il encore une place dans l’enseignement et la recherche littéraire ? Le contresens peut-il être un moment positif du travail herméneutique ?

Historicité des œuvres contre actualité de la lecture et du commentaire, donc. Telle est, en fin de compte, la disjonction (très barthésienne) qui se trouverait sous le nom de « littérature » ou dans l’espace vide de son refus. Le mouvement Transitions, qui sollicite le terme de « littérature », assume-t-il simplement la position anachronique et anhistorique que son usage paraît supposer ? Nous disons « littérature » : cela implique-t-il que nous renoncions à toute forme de continuité historique des œuvres et aux enjeux de transmission dont elles peuvent s’accompagner ?

Hélène Merlin-Kajman a mené, depuis quelques années, des recherches importantes pour redéfinir la fonction sociale et politique de la littérature à partir, notamment, de données anthropologiques. Il en va ainsi de ses travaux qui analysent, à partir du concept de don, le rapport entre auteur, mécènes et public dans les textes d’éloge et les dédicaces classico-baroques, analyses découvrant une analogie de statut entre les Belles Lettres au XVIIe siècle et les sacra.Le projet de ce type d’approche est, à la fois, de mettre au jour une fonction anthropologiquedes textes littéraires et, d’autre part, de montrer que cette fonction ne s’appréhende pas en dehors d’une attention esthétique et/ou émotionnelle. Autrement dit, cette perspective maintient le souci d’une continuité historique de la « littérature » par-delà la coupure du XVIIIe siècle sans pour autant renoncer à l’actualité anhistorique de la lecture et du commentaire.

Bien sûr, le terme de « littérature » nomme moins alors un genre défini de productions textuelles que la place donnée par le collectif à certains objets, variables selon les époques. Néanmoins, conserver le nom de « littérature », c’est, d’une part, reconnaître l’expérience de ces deux derniers siècles où il a pu désigner un ensemble d’œuvres susceptibles de prendre en charge, souvent polémiquement, la question du commun et, d’autre part, suggérer que cette fonction se réalise de manière non pas exclusive mais prééminente à travers un jeu esthétique, symbolique, sur la langue et les récits.

Il ne s’agit donc pas de redéfinir le terme de « littérature » mais, comme le souligne la présentation du site, de soutenir l’hypothèse primordiale que « la littérature n’existe comme objet visé par un commentaire ou un savoir qu’à condition d’avoir d’abord existé comme pratique relationnelle, transitionnelle ». Cette perspective oblige à un certain nombre d’ajustements dans notre rapport à la littérature : d’abord, une ouverture maximale aux différents usages des œuvres littéraires : quelles relations entretiennent les biologistes, les juristes, les mathématiciens, etc. avec la littérature est une question qui anime Transitions depuis sa création. D’autre part, et c’est une condition fondamentale, une attention éthique au commentaire, celui-ci étant moins évalué à partir de sa pertinence herméneutique et/ou historique qu’à travers, ce qu’il conserve ou protège de la valeur relationnelle de l’objet littéraire.

Valeur relationnelle ou transitionnelle. Car, on voit bien à quel point l’intuition de Winnicott suggérant que la culture est la forme sociale de l’aire transitionnelle du nourrisson se prête bien à cette approche. Appliquée à la littérature, elle préserve la continuité anthropologique (la théorie psychanalytique est un discours sur l’homme) et souligne la dimension esthétique, symbolique, à la fois grave et ludique, de l’objet littéraire. Surtout, cette zone intermédiaire de l’expérience tient une place essentielle dans la capacité relationnelle de l’être humain – espace qui rend possible le contact entre soi et la réalité. Il faut ainsi, Winnicott y insiste, le protéger, en protéger la valeur intermédiaire, à la fois fantasmée et réelle. Je cite Winnicott :

On peut dire, à propos de l’objet transitionnel, qu’il y a là un accord entre nous et le bébé comme quoi nous ne poserons jamais la question : « Cette chose, l’as-tu conçue ou t’a-t-elle été présentée du dehors ? »

En ce sens, en assumant le terme de « littérature », il s’agit non pas de défendre la littérature (pas de nostalgie du doudou !) mais, à travers elle, de défendre la possibilité de la littérature. L’accord, que nous tentons à Transitions de tenir, porte sur le maintien d’un espace où peuvent se rencontrer à la fois les commentaires soucieux d’une cohérence historique et les lectures personnelles, bref un espace où puissent se manifester la mixité et l’impropriété de l’objet littéraire. C’est la conviction que cet espace est nécessaire au collectif et pourtant, fragile, qui explique caractère affirmatif, positif, de notre mouvement : « Et l’appelons grande et bonne ».

Lise Forment

L’hégémonie de la rhétorique, dont a parlé Brice, et l’essor de la sociologie de la littérature d’inspiration bourdieusienne, dont a parlé Hélène, ont mis en crise les catégories de « classicisme » et de « Classiques ». Ce sont ces notions que je vais aborder, car elles font partie des sujets de réflexions récurrents dans nos discussions sur la transmission de la littérature.

J’ai débuté mon doctorat sous la direction d’Hélène Merlin-Kajman en septembre 2009 et j’ai participé aux différents groupes de recherche qu’elle a animés avant de fonder Transitions : j’ai été membre du centre de recherche qui réunissait autour d’elle plusieurs dix-septiémistes de Paris 3 – Cercle 17/21 – dans une attention commune aux rapports entre le XVIIe siècle et notre temps ; j’ai aussi pris part aux activités du groupe sur « Les usages de la littérature », qui réunissait des chercheurs travaillant sur différents siècles, mais enseignant tous les lettres et désireux de penser la littérature comme pratique vivante, relationnelle. C’est cette équipe qui a finalement pris le nom de Transitions.

Le projet de recherche que j’avais rédigé en vue de mon inscription en doctorat rencontrait déjà nombre des questionnements soulevés par Hélène Merlin-Kajman et placés au cœur des réflexions menées dans ces groupes de travail. Mais, bien évidemment, ma thèse s’est nourrie et se nourrit encore de toutes ces discussions, et en particulier des séminaires organisés dans le cadre de Transitions. Je travaille sur les liens entre la littérature française du XVIIe siècle et la « modernité ». J’entends ce terme de « modernité » au double sens de notre contemporanéité et des courants littéraires, philosophiques ou théoriques qui se sont nommés, pensés et construits comme « modernes » au fil du XXe siècle. Je m’attache, plus précisément, à démontrer les mérites d’une lecture transhistorique des textes du XVIIe siècle, et à repenser la catégorie de classicisme dans son opposition à celle de « modernité » : il s’agit non seulement de réviser les lexiques historiographiques qui ont opposé virulemment les deux notions, soit pour louer le classicisme, soit pour le blâmer, mais il s’agit aussi et surtout de réviser les lexiques historiographiques qui ont fleuri ces dernières décennies dans les études dix-septiémistes – ceux qui déconstruisent cette opposition entre classicisme et modernité, ceux qui s’emploient à l’historiciser, et refusent, à partir de là, de voir dans la catégorie de classicisme autre chose qu’un mythe critique qu’il faudrait sans cesse soupçonner, voire éradiquer. Parce que le terme de « classique » reste une catégorie opérante pour désigner ce qui mérite d’être enseigné dans les classes, parce que l’antagonisme entre classicisme et modernité était l’occasion de lectures vivantes, stimulantes, des textes du XVIIe siècle, il paraît nécessaire de réévaluer – de revaloriser ( ?) – leurs usages.

C’est dans le rapport établi entre classicisme et modernité par Roland Barthes, André Gide et Paul Valéry que je trouve le moyen de relire les « Classiques » à nouveaux frais. Barthes, Gide et Valéry ont pris « plaisir aux Classiques », ils ont écrit sur Racine, sur les moralistes, sur La Fontaine, etc., tout en revendiquant leur appartenance à la « modernité » du siècle passé. J’étudie donc, dans leurs œuvres critiques, les différentes définitions qu’ils ont proposées des termes « classique », « classicisme », « modernité » et « classicisme moderne » ; j’analyse les usages divers (poétiques, théoriques, idéologiques) qu’ils ont faits de Racine et des autres ; et je tente de dégager quelle exemplarité ou contre-exemplarité, esthétique et éthique, leurs commentaires induisent ou construisent pour le XVIIe siècle. Mon objectif est non seulement de comprendre les motivations qui ont incité ces trois auteurs à solliciter les Classiques, mais aussi et surtout d’étudier les Classiques à l’aune de leurs analyses, en recourant aux concepts de la modernité et en passant outre la hantise de l’anachronisme. Leurs commentaires peuvent nous aider, je crois, à retrouver le dynamisme théorique de l’antagonisme entre classicisme et modernité, sans adhérer pour autant aux mythologies que l’opposition charriait. Au cours de mon travail, j’ai repéré une sorte de punctum transhistorique – une question commune, que les textes du XVIIe siècle ont posée, que Barthes, Gide et Valéry ont déplacée, et qui peut être encore relancée dans notre présent : la construction du sujet, et plus particulièrement – plus discrètement aussi – celle de l’individualité féminine.

Cette question fait le lien entre les deux volets de mon travail. Le premier volet en construction relève d’une étude de réception, d’un effort de contextualisation et d’une réflexion métacritique : pour analyser le regard transhistorique que portent Barthes, Gide et Valéry sur les Classiques, je prête une grande attention aux différentes querelles dont le classicisme a fait l’objet, depuis la « querelle du peuplier » entre Gide, Barrès et Maurras (1898-1903) jusqu’à la polémique de la Nouvelle Critique entre Barthes et Picard (1963-1966). Dans le second volet, j’essaie de relancer, dans notre temps, mais à partir du regard critique de mes trois auteurs et de leurs réflexions sur la notion de sujet, des questions soulevées par les tragédies de Racine, les comédies de Molière, les romans de Madame de La Fayette, etc. J’insiste alors davantage sur les silences de Barthes, Gide et Valéry, sur les Classiques mal aimés ou oubliés dans leurs textes critiques, et notamment sur la question du sujet féminin.

L’originalité de ma démarche repose donc sur la confrontation productive d’un corpus critique et théorique du XXe siècle et d’un corpus littéraire du XVIIe siècle, le tout dans le but d’élaborer un nouveau mode de lecture du canon classique. À la suite de Barthes, j’ai choisi d’employer l’expression de « lecture concernée », car il s’agit bien de s’intéresser à ce qui nous concerne encore dans les textes du XVIIe siècle.

En filigrane de cette présentation sommaire de mes travaux, vous pouvez reconnaître beaucoup des questions posées lors du colloque « “Littérature” : où allons-nous ? », et vous pouvez sans doute deviner certaines des réponses que je formulerais ou ébaucherais. Si les guillemets se sont imposés pour parler de la « littérature », ils sont aussi souvent de mise pour parler du « classicisme », et affichent dans les deux cas un même soupçon, une méfiance critique, une mise en crise des catégories usitées. Les reproches adressés à l’une et à l’autre se rejoignent : on les taxe d’« essentialisme », on les accuse d’établir des hiérarchies de valeur à des fins idéologiques, on affirme qu’elles ne rendent pas compte de la réalité historique et de la variété des pratiques d’écriture avant la Révolution. Et les remèdes qu’on recommande contre les maux théoriques qu’elles causeraient sont également comparables : plutôt que de parler de « littérature » d’Ancien Régime, on préfère parler d’« écrits », comme l’a fait Mathilde Bombart lors du colloque d’octobre, et on élargit les corpus d’études à des textes qui ne sont pas immédiatement assimilables à notre définition anachronique, romantique et esthétique, de la littérature ; plutôt que de se limiter au panthéon canonique des textes reconnus comme « classiques », on préfère valoriser les minores et substituer à la catégorie de classicisme des concepts endogènes, comme la galanterie. La perspective que j’adopte dans mon travail est tout autre : elle ne repose ni sur un « élargissement » du corpus, ni sur la « contextualisation » rhétorique des textes du XVIIe siècle, gestes privilégiés par Michel Magnien et d’autres lors du colloque. Elle relève d’un parti pris, que j’assume et dont nous débattons au sein de Transitions : c’est celui de la transmission et de l’attention à la transhistoricité de la littérature. D’où le double regard que j’ai choisi : XVIIe et XXe siècles – qui est une autre sorte de « contextualisation » ; d’où le geste de prendre des médiateurs dans ma lecture du XVIIe siècle – qui est une autre sorte d’« élargissement » ; d’où, aussi, la volonté de commenter de nouveau les auteurs les plus « classiques », les plus étudiés dans les classes.

    Le mode de lecture « concernée » que j’essaie d’élaborer ne constitue peut-être pas une méthode à proprement parler ; mais dans mon esprit, il vient assurément répondre à une certaine dislocation des méthodes – à cette dislocation des méthodes qui a fait l’objet d’une session du colloque –, puisque mon ambition est de dépasser la polémique critique qui voit s’affronter, aujourd’hui, histoire littéraire et lectures actualisantes. C’est là que le recours aux trois intercesseurs que sont Barthes, Gide et Valéry me paraît particulièrement productif. Il est certain que ces derniers font un usage intéressé des Classiques, bien distinct de l’objectivité que réclame la position institutionnelle d’un enseignant-chercheur : Barthes retourne Racine contre ses thuriféraires en proposant une « anthropologie » de l’homme racinien, mâtinée d’un « langage [...] quelque peu psychanalytique » ; Gide relit les moralistes pour leur opposer Nietzsche et Dostoïevski ; Valéry se sert de La Fontaine et de Bossuet pour faire l’éloge de la forme, etc. Mais ces appropriations ne signifient pas que leur discours soit dénué de toute validité critique pour penser les textes du XVIIe siècle. Au contraire, il me semble pertinent de prendre au sérieux leurs propositions de lecture, en dépit d’éventuelles projections anachroniques, sans doute abusives aux yeux d’un historien ou d’un sociologue de la littérature. Cette critique intéressée possède certes des enjeux bien différents de ceux qui occupent la recherche universitaire, soucieuse de construire un rapport distancié à son objet, garant de sa rigueur épistémologique. Mais cette spécificité est au cœur de mon questionnement : la lecture « concernée » des Classiques que fondent Barthes, Gide et Valéry peut-elle contribuer au renouvellement du discours spécialisé sur le XVIIe siècle, divisé entre tenants de l’histoire littéraire et défenseurs de lectures plus actualisantes ? C’est en tout cas le pari que je fais, car un tel renouvellement me paraît indispensable pour continuer de transmettre les textes classiques, pour continuer de leur faire « traverser les siècles » comme le dit notre questionnaire sur la littérature, toujours disponible en ligne.

Sarah Nancy

Je poursuivrai donc, après Brice et Lise, la présentation de Transitions à travers les questions posées par le colloque. Pourquoi avons-nous posé ces questions ? Quelles réponses voudrions-nous apporter ? Et le « nous » que j’utiliserai, logiquement, donnera à entendre ma vision du « nous ».

Avec les trois sessions consacrées à la « dislocation » : dislocation du corpus, dislocation des méthodes, dislocation de la discipline, il s’agissait d’avancer dans la compréhension de l’effet d’homonymie dont a parlé Brice : adopter une perspective diachronique permet de voir que derrière le mot « littérature » se rangent des idées et des pratiques historiquement très diverses ; adopter une perspective synchronique conduit à ce constat d’une « dislocation » aujourd’hui : quand nous cherchons et enseignons, il n’y a pas de dénominateur commun à nos pratiques, qui serait la discipline « littérature ». 

Concernant le corpus : on sait comment la sociologie des années 1970 a contribué à défaire la conception de la littérature en termes de « grandes œuvres ». C’est dans son prolongement qu’on a pu postuler non pas « la littérature », mais le « littéraire », ou décider que la littérature ne se conjuguait qu’au pluriel. La conséquence ? Des pratiques de recherche et d’enseignement qui font la part belle aux minores, qui multiplient les nouveaux corpus en s’ouvrant aux documents, aux témoignages… afin de rendre compte des valeurs et des stratégies d’une époque. Pour autant, le canon ne perd pas de son emprise – pour preuve, le programme d’agrégation –, mais en quelque sorte sans que cette fascination puisse constituer un angle d’attaque avouable.

On l’entend, cette dislocation du corpus implique une dislocation des méthodes : que fait-on aujourd’hui dans les départements de littérature ? L’étude des formes est souvent coupée de l’interrogation sur les enjeux ; et l’étude des enjeux – qui se résument souvent, comme je le disais, à des enjeux historiques, à des enjeux de pouvoirs – élude quant à elle souvent la question de la beauté (je le dis très vite, bien sûr, mais en somme, la question du genre littéraire est plus souvent convoquée pour parler de hiérarchie des genres que pour parler d’émotion suscitée par une forme).

Une chose est claire : cet éparpillement n’est pas gênant au quotidien. Il est même outrageusement facile de ne pas s’inquiéter de l’absence de rapport entre ses propres pratiques et celles du voisin chercheur-enseignant, outrageusement facile de ne pas en parler : l’image employée par Francis Goyet lors du colloque, celle des « comptoirs coloniaux » était juste en ce sens : la littérature est comme un grand continent sur lequel coexistent des petits groupes qui s’ignorent les uns les autres.

Et on l’aura compris : c’est cette ignorance, cette absence de rencontres et de frictions que nous regrettons, et non la diversité, l’hétérogénéité. Ce que nous voulons viser avec la « dislocation », ce n’est pas la multiplicité, les désaccords, ni cette histoire d’amour et de haine entre la littérature et l’antilittérature, entre le beau et le laid, dont vous avez parlé, Nicholas White, au tournant du XIXe siècle, mais la dérive lente et inutile de pratiques et de conceptions qui s’ignorent les unes les autres.

Que prétendons-nous faire, alors ? Quelle réponse le mouvement Transitions peut-il apporter selon moi ? Unifier les corpus, accorder les pratiques, sauver le prestige d’une discipline ? Non.

Ce que nous pouvons, c’est faire le pari d’une définition de la discipline par un effet : la littérature prépare notre rapport au monde, nous met en contact avec lui d’une manière privilégiée, nous protégeant ainsi et nous rendant plus entreprenants. On entend bien sûr, et cela a déjà été dit, combien les travaux de Winnicott nous ont aidés à fixer les termes de ce pari – cette perspective psychanalytique venant éclairer à l’échelle de l’histoire du sujet, de tout sujet, une fonction de la littérature mise en évidence par Hélène Merlin-Kajman pour le XVIIe siècle : la fonction de terrain d’expérimentation où les particuliers se découvrent comme particuliers, avec une intériorité, à partir de laquelle peut se construire en conséquence un rapport au public.

Nous proposons donc de définir la littérature par cet effet, par les usages qui peuvent en être faits. Les « usages de la littérature », c’était d’ailleurs le nom du projet qui a précédé, auquel Transitions, comme nom et comme mouvement est venu apporter une réponse, que l’on pourrait développer de la manière suivante : si la littérature permet de tels usages, c’est qu’elle a cette capacité à mettre en relation le sujet avec le monde de manière intense et heureuse (et je désigne par « heureuse » non pas une satisfaction naïve, une joie béate, mais une capacité à vivre la complexité de façon supportable, capacité, aussi bien, à aimer le désaccord) et qu’à ce titre, donc, la littérature a une capacité à mettre en relation les sujets entre eux.Et de cette capacité à mettre en relation, vous donniez d’ailleurs un exemple particulièrement suggestif, Bill Burgwinkle, en parlant de l’Histoire ancienne, ce texte du XIIIe siècle entre littérature et histoire, introduit à la difficulté de parler des siècles anciens sans passer par soi et, en même temps, donne un aperçu de l’âme d’un poète désireux de nous émouvoir.

Avec cette définition par l’effet, il ne s’agit pas alors d’unifier le corpus, mais de se promener très loin ou très près, dans des textes très différents, sous l’éclairage d’une même question. Ce mouvement a donc à voir, certes, avec une ouverture. Et c’est ce que nous voulions dire avec la question « Pensez-vous que les genres suivants : rap, chanson, etc. appartiennent à la littérature ? » dans notre questionnaire. Mais il ne s’agit pas pour autant de prétendre se libérer d’un carcan de valeurs hautes pour tout embrasser. Car la question des effets, précisément, permet d’affirmer que « tout ne se vaut pas », comme le dit le manifeste : selon la façon dont ils assument cette fonction, les textes sont plus ou moins importants (« intenses », « parlants », « décisifs » dit le manifeste). Bien sûr, nous ne résolvons pas par là la question de la beauté, mais nous l’y rattachons pourtant.

Voilà donc restitué non pas l’unité d’un corpus, mais sa virtualité vivante à l’aune d’une question, pourrait-on dire – et ce n’est peut-être pas sans rapport avec ce que disait Nathalie Dauvois qui montrait que le corpus était resté sinon unifié du moins cohérent tant que les textes avaient servi non seulement comme supports de lecture mais aussi comme supports de production d’autres textes dans la pédagogie.

Notre définition de la littérature par l’effet n’écrase pas non plus la diversité des méthodes : d’abord parce que cette diversité est la meilleure preuve de cet effet « liant » de la littérature que nous promouvons, et ensuite parce que, sans nul doute, on n’a pas trop de l’étude des formes et des structures, la narratologie, de la génétique, de la rhétorique, de la contextualisation… pour comprendre comment chaque texte construit singulièrement cet espace d’expérience.

On voit donc que face aux questions de la dislocation du corpus et de la méthode, Transitions mise sur les différences et divergences : et cela explique, je crois, que le terme « dislocation » ait pu être développé lors du colloque dans un sens positif : « dislocation » du corpus par Florence Dumora, des méthodes par Emma Gilby. Je pense que beaucoup d’entre nous se sont reconnus dans ces démarches. Nous venons de l’entendre encore avec Lise.

Mais la discipline ? Peut-on avoir envie de la laisser « disloquée » ? Je vois au moins deux raisons pour lesquelles la discipline pourrait gagner à être suffisamment définie pour trouver un singulier : d’abord parce que c’est depuis ce singulier qu’elle peut entrer en dialogue avec les autres disciplines – et cet aspect est très important à Transitions, où nous avons reçu depuis deux ans de nombreux représentants d’autres disciplines venant nous parler de leurs usages de la littérature.

Ensuite parce que l’enseignement a besoin d’une définition, d’un singulier. Et c’est ce dont va parler Mathias.

Mathias Ecoeur

Nos temps de parole étant relativement courts, je vous prie déjà d’excuser l’aspect quelque peu schématique de mon intervention, et en particulier des quelques mots que je vais commencer par dire à propos des débats et des recherches actuels autour de l’enseignement de la littérature. J’évoquerai ensuite quelques pistes de réflexion dans l’optique de Transitions avec pour seule ambition d’entamer un dialogue.

Je commencerai donc par distinguer deux « pôles », certes parfaitement analytiques, deux modèles généraux dans les débats actuels tant dans les études littéraires qu’au sein, par exemple, de la didactique du français et de la littérature.

On peut distinguer premièrement un modèle selon lequel l’enseignement de la littérature est présenté comme un moyen d’apprentissage de la langue et doit développer une compétence de lecture « objective », entraîner l’esprit critique de l’élève. Ce modèle met en avant les outils apportés depuis les années 1960 par la nouvelle critique, le structuralisme et la narratologie, même si ces outils n’ont jamais remplacé totalement, dans les classes, la pédagogie lansonnienne et l’histoire littéraire. C’est sur ce modèle que reposent les grandes lignes des programmes de l’enseignement secondaire en France. L’un de ses enjeux majeurs est, pour reprendre le vocabulaire bourdieusien, de refuser d’hériter, c’est-à-dire d’enrayer les mécanismes de reproduction sociale des inégalités en basant l’enseignement de la littérature non sur une « culture » partagée par les classes privilégiées et qui serait contraire au multiculturalisme mais sur des outils susceptibles d’être appris et maîtrisés par tous. Il faut bien constater pourtant que les dernières réformes de l’enseignement n’ont pas permis de juguler les inégalités, dans l’école et peut-être par l’école.

A ce premier modèle que l’on pourrait qualifier d’utilitariste et d’objectiviste s’oppose un mouvement de réinvestissement de la littérature par le sujet et par une éthique. Ce mouvement, lié à un tournant éthique des études littéraires et, plus généralement, des sciences humaines, s’affirme comme un nouvel humanisme. Les fins de l’enseignement de la littérature y sont culturelles, oscillent entre des arguments qui évoquent une forme de développement personnel ou la fondation d’une communauté. Il s’agit par exemple de transmettre un patrimoine, notion extrêmement discutée aujourd’hui, ainsi qu’en témoigne par exemple le récent colloque international de didactique de la littérature tenu à Cergy-Pontoise en mars 2012 École et patrimoines littéraires. Il y a par ailleurs, dans les sciences humaines comme dans les études littéraires, un engouement – ou peut-être faut-il plutôt dire un sentiment d’urgence – autour des questions d’enseignement. Une grande partie des textes publiés depuis une dizaine d’année participent de ce nouvel humanisme – qui a des facettes multiples. Pensons par exemple à Yves Citton, dont le livre Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ? s’est vu augmenté et réédité après la saillie de Nicolas Sarkozy contre l’enseignement de La Princesse de Clèves, ou encore au livre de Todorov La Littérature en péril qui s’oppose explicitement à la réforme des programmes des années 2000, réforme basée, rappelle-t-il, sur des outils structuralistes.

Pas plus que le premier modèle, ce nouvel humanisme n’apparaît satisfaisant. D’un point de vue intellectuel, il tente de réinvestir la possibilité d’un héritage culturel et affirme une permanence de la littérature, mais il peine par ailleurs à rendre compte d’un monde contemporain où il n’y a plus de canon acquis (malgré la perduration d’un canon scolaire), plus de consensus autour d’éventuelles valeurs littéraires. Il s’abstient également souvent de questionner la possibilité d’une communauté culturelle, aujourd’hui problématique, d’une part parce que nous vivons dans des sociétés multiculturelles et, d’autre part, parce que la volonté de fonder une communauté, ou du collectif, est également source d’exclusion. Du point de vue de l’enseignement secondaire, ce nouvel humanisme achoppe à élaborer un argumentaire en faveur de l’enseignement de la littérature et à l’articuler avec une épistémologie des études littéraires, à articuler, finalement, sa pensée théorique avec des propositions pédagogiques et les pratiques effectives d’enseignement. Il faut dire que le terrain lui est hostile, puisqu’il se trouve en porte-à-faux avec les objectifs établis, dans les programmes nationaux, à partir du modèle utilitariste et objectiviste.

Il me faut ajouter que, si j’ai surtout évoqué là les études littéraires, on retrouve l’expression de ces deux modèles dans la didactique du français, notamment à travers les deux grandes propositions dominantes actuellement, celle de la lecture littéraire et celle du sujet-lecteur. La première peut être considérée comme une mise en acte du modèle objectiviste et utilitariste, alors que la seconde s’élabore en réaction à un « excès de formalisme dans les études littéraires »[3]. La didactique du français a par ailleurs certainement une grande part de responsabilité dans la situation difficile de l’enseignement secondaire et dans l’échec des IUFM. Depuis une quinzaine d’années par exemple, elle semble réticente à la formulation de nouvelles propositions didactiques et, atteinte par une volonté de scientificité et d’objectivité, se restreint bien souvent à une pure production de connaissance, entre histoire de l’enseignement et observation presque sociologique des pratiques effectives.

La situation que je viens de décrire à travers ces deux modèles est susceptible d’expliquer pour une bonne part l’entreprise de Transitions et la nécessité d’une réflexion sur la littérature et ses usages, pour reprendre le terme du programme de recherche d’Hélène Merlin-Kajman, en prenant en compte les pratiques enseignantes. Je crois que notre site reflète assez bien cette volonté dans la mesure où, à la rubrique « Intensités » qui rassemble majoritairement des articles universitaires et des réflexions sur la littérature, s’ajoute notamment la rubrique « D’expériences » qui contient à la fois des réponses à notre questionnaire « Littérature : comment la diriez-vous ? » et une sous-rubrique où « nous accueillerons qui nous dira comment il fait de la recherche vraiment, comment il enseigne vraiment la littérature – ou comment il ne le peut »[4].

En se saisissant du concept winnicottien d’objet ou d’espace transitionnel, c’est une nouvelle manière de penser et de pratiquer l’enseignement de la littérature qui se dessine, de nouvelles perspectives quant à la compréhension de ses usages et de sa place au sein de la société. Il y a, au fond, deux entreprises indistinctes qui se mêlent à partir de Winnicott : penser de concert la littérature et ses modalités de transmission. Je finirai donc, pour donner corps à cette intrication, par un exemple concret, tout particulièrement à-propos dans un lieu tel que Cambridge, puisqu’il s’agit de mettre en rapport Winnicott avec un point de la description du modèle anglo-saxon du campus universitaire par François Cusset dans son livre French Theory, que je commente également dans un exergue. François Cusset écrit :

La fabrique sociale américaine doit beaucoup au formidable isolement spatio-temporel de la vie étudiante. En amont, ce sont la cellule familiale et une enfance elle-même définie comme un monde à part, et en aval les responsabilités de l’adulte et les contraintes du marché du travail. Entre la dépense fantasque de l’enfance et l’éthique du travail qui suivra, les college years […] constituent une zone de répit, vouée à la fois au renforcement des normes et à la possibilité, dans des conditions nettement délimitées, de leur subversion. Tout concourt à faire de cet espace de transition, véritable moratoire entre l’insouciance du teenager (l’adolescent) et la lutte du grown-up (l’adulte) pour la survie, un univers plus nettement à l’écart qu’il ne l’est dans les sociétés européennes […][5]

Voilà une analyse qui évoque Winnicott à plusieurs égards. Je ne pense pas seulement à la citation d’un « espace de transition », mais également à l’une des caractéristiques évoquées par Cusset et qui n’est pas sans faire penser à Jeu et réalité. Winnicott écrit :

[…] l’adolescent est immature. Au moment de l’adolescence, l’immaturité est un élément essentiel de santé. Et, pour l’immaturité, il n’y a qu’un traitement, l’écoulement du temps et la croissance vers la maturité que, seul, le temps peut favoriser.

[…] l’essentiel, en ce qui concerne l’adolescence, c’est son immaturité, le fait de ne pas être responsable.[6]

Il est possible que, comme sur le campus décrit par François Cusset, cette idée permette de déduire un nouvel espace pour le cours de littérature, si ce n’est pour tout enseignement, espace de « développement et d’expérience »[7], plutôt que la responsabilisation peut-être prématurée que suppose l’esprit critique comme dessein didactique dans le modèle objectiviste ou la carence de toute subversion, de toute opposition, de toute immaturité que sous-tend le modèle humaniste par son impératif d’héritage.

Mais ce n’est là, évidemment, qu’un exemple qui tendait à souligner le fait qu’une dimension transitionnelle est déjà à l’œuvre dans certains contextes d’enseignement et qu’il ne s’agit pas aujourd’hui de faire table rase. Beaucoup cependant reste à faire – mais les dialogues qui ont pu être noués au colloque organisé par Transitions en octobre dernier « “Littérature” : où allons-nous ? », les nombreux articles que nous avons déjà publiés sur notre site, votre invitation elle-même à venir, ici à Cambridge, pour vous rencontrer, rendent optimiste et ajoutent à notre enthousiasme. 

Discussion

Emma Gilby : Ce que tu disais, Mathias, sur l’adolescence, me rappelle une anecdote : depuis peu, lors des entretiens organisés dans le cadre de la procédure d’admission, nous voyons arriver à Cambridge des candidats accompagnés par leurs parents, que nous sommes forcés d’éloigner. Il ne me serait jamais venu à l’idée de me faire ainsi accompagner par mes parents. Mes parents, non plus, n’y auraient pas pensé... Nous avons désormais de plus en plus d’échanges, de correspondances avec les parents, qui nous écrivent des mails au sujet de leur enfant. Je crois qu’aujourd’hui, ce qui se prolonge ce n’est pas l’immaturité de l’adolescence, mais celle de l’enfance !

Nicholas White : Je change de sujet, pardon. Mais en vous écoutant, je me demandais si vous aviez eu des échos de la part de « vrais » historiens concernant votre démarche, si vous en aviez reçu.

Hélène Merlin-Kajman : Jusqu’à présent, nous avons fait le choix délibéré de ne pas inviter dans notre séminaire de représentants de disciplines trop proches de la nôtre, de disciplines qui ont immédiatement quelque chose à dire de la littérature (l’histoire, la philosophie) ; nous avons plutôt sollicité des chercheurs en « sciences dures » parce qu’ils étaient franchement très éloignés de nous et que nous n’avions pas la moindre idée de ce qu’ils avaient à dire de la littérature.

Je dirais plus précisément qu’il y a deux sortes de « vrais » historiens : les historiens qui ont la littérature pour objet de recherche : les littéraires n’arrêtent pas de dialoguer avec eux, il n’y a pas de surprise, à cet égard. Et les historiens qui ont d’autres objets : là, par exemple, nous avons reçu une historienne de la société d’Ancien Régime, Laurence Croq, qui nous a expliqué les déboires qu’elle avait eus, au début de son travail, en prenant les textes littéraires pour des sources documentaires fiables.

Nicholas White : Si je vous posais cette question, c’est surtout parce que je sais qu’en ce moment, se développe une histoire des émotions, autrement dit une histoire qui permet de faire le pont entre des approches esthétiques et des approches historicistes.

Nick Hammond : J’aimerais que vous m’aidiez à élucider un point qui me laisse perplexe dans la lecture de Winnicott. Si l’on met de côté le doudou, objet transitionnel, dont chacun a fait l’expérience, le recours de Winnicott à des catégories plus larges, plus floues, me pose problème. Il fait de la culture entière un espace transitionnel, et donc il parle aussi, par exemple, du sentiment religieux, sans développer de distinctions. Comment votre mouvement, Transitions, se saisit-il de ces catégories ? Que faites-vous des imprécisions de Winnicott ?

Hélène Merlin-Kajman : Je suis entièrement d’accord avec toi, Nick. Et pour te répondre, je me permets de convoquer brièvement un texte de Gérald Sfez que nous allons bientôt publier sur le site. Il traite, entre autres choses, de la façon dont Lyotard, dans Discours, figure, se réfère à Winnicott. Lyotard, contrairement à Winnicott, établit une distinction précise entre la croyance religieuse, où le désir croit qu’il rencontre le réel, et le suspens de croyance propre à l’objet transitionnel, au jeu de l’aire transitionnelle. Winnicott mettait tout dans la « culture », mais selon moi, on pourrait faire une typologie des économies culturelles en partant d’une typologie des styles d’objets transitionnels. Je lisais, il y a peu, le livre d’une anthropologue qui rappelle qu’on a réfuté l’universalité de la thèse de Winnicott, au motif qu’il y avait des cultures sans doudous. A son tour, elle objecte qu’il n’y a pas de cultures sans berceuses, et qu’on peut considérer que la berceuse crée un espace transitionnel. Et elle remarque que la berceuse est en voie de disparition : elle va jusqu’à se demander si cela n’explique par l’agitation des enfants...

Sarah Nancy : À ce sujet, je me souviens qu’à la lecture de Winnicott, j’avais été frappée par sa proposition d’inclure la recherche scientifique comme espace transitionnel. J’ai l’impression que c’est ce qui est ressorti de nos rencontres avec les représentants des « sciences dures » que nous avons reçus : biologistes, physiciens ou mathématiciens. Tous ont parlé des aspects de leur travail où se fabrique un rapport au monde. Contre ce qu’ils présentaient comme excessivement rigide, étroit, contraignant (et souvent, c’est une autre science dure qui servait de repoussoir : la physique pour la biologie, les mathématiques pour la physique), ils parlaient d’« œuvre nocturne », de « poésie ». C’est cela qu’ils sentaient comme « littéraire ».

Bill Burgwinkle : Je vois une contradiction dans les directions que vous avez esquissées. D’un côté, vous affirmez l’importance de la transition comme passage d’une époque à une autre ; de l’autre vous vous intéressez aux formes de création actuelles, à des formes de transition plus horizontales ou plus spatiales, en quelque sorte : la première direction vous incite à vous tourner vers les Classiques, vers la littérature qui a démontré sa durabilité ; la seconde à vous tourner vers la littérature populaire comme le rap, et à favoriser cette « dislocation » des corpus dont nous avons déjà parlé.

Lise Forment : La contradiction n’est pas si grande : il y a débat, à n’en pas douter – le compte-rendu de la rencontre avec Bettina Ghio le montre –, mais il me semble que la réflexion sur la langue au sein de ces différents espaces transitionnels fait le lien...

Hélène Merlin-Kajman : Peut-être vaut-il mieux quand même maintenir l’idée qu’il y a une contradiction ici. Je pense que Bill a raison ici : il s’agit d’une contradiction, et, comme toutes les contradictions, mieux vaut peut-être ne pas la résoudre trop vite. Je me méfie toujours de l’idée d’harmonie...

Emma Gilby : Les Classiques sont toujours du côté du confort, comme Barthes le rappelle...

Bill Burgwinkle : Pourquoi s’attacher aux Classiques plutôt qu’au rap ? Dans les deux cas (et plus nettement encore pour le rap), ce sont des formes qui font l’effort de traduire le réel et témoignent d’une valeur relationnelle et qui, en tant que représentations formelles, esthétiques, peuvent être considérées comme objets transitionnels.

Brice Tabeling : Il est vrai que nous accordons une importance particulière au rôle du temps, au passage du temps... Mais, par ailleurs, les deux critères de la formalité et du caractère « relationnel » de l’œuvre ne sont pas suffisants, je crois, pour déterminer si un objet est transitionnel ou non. Certaines œuvres (formelles) peuvent tenter de hâter un type de collectif qui ne respecte pas l’écart entre l’individu et le monde (les autres) nécessaire à l’aire intermédiaire d’expérience. C’est l’espace, c’est-à-dire aussi l’espacement qui, pour Winnicott, qualifie et détermine l’objet comme transitionnel. L’espace est antérieur à l’objet.

Hugo Azérad : Je voulais simplement ajouter qu’il me semble essentiel, comme l’a dit Hélène Merlin-Kajman, que vous conserviez cette part de différence, de désaccord, de dysharmonie ; et introduire peut-être une dimension qui fasse fi des catégorisations étanches, et pare au danger de rester trop focalisé sur un centre. Je pense à la dimension du Tout-monde glissantien par exemple, où centre et périphéries, rap et littérature classique, oralité et écriture, toute notion de hiérarchie, se trouvent subsumés sous une dynamique autre, un re-espacement, une re-temporalisation (qu'on pourrait taxer d'utopisme, autre grande topique du « jeu »), qu'il qualifie de transversale (et non plus de verticale, fondée sur un axe, un centre, une vision définitoire, un universalisme larvé ou non) : mettre en relation, re-lire l'histoire littéraire au prisme de la poétique de la relation (où chaque chose (culture, langue, pratiques artistiques) n'existe qu'en présence des autres, de façon imprévisible et imprédictible, jamais contrôlable), cela pourrait-il avoir quelque lien avec la dynamique de Transitions justement? Je pense aussi à un centre « sœur » de recherche, L'institut de Tout-monde, lancé par Sylvie Glissant et François Noudelmann.

Ce qui est beau, c'est que votre mouvement remue de fond en comble nos visées statiques et « statufiantes » de l'objet et de la tradition littéraire, qui ne sont d'ailleurs jamais vues ainsi par les « créateurs » (Proust en premier, qui renverse la notion de classicisme, puisque ce qui est classique n'est jamais que du révolutionnaire incompris (et vice versa), et que la soi-disant obscurité des classiques n'était que le reflet d'une limpidité mal lue par exemple, en parlant de Racine, mais aussi anticipant sur sa propre œuvre, en devinant son décalage vis-à-vis de son public, de la tradition française).

Quand je parlais de l'importance de maintenir les (doux) désaccords (« cadence anglaise » en ancienne polyphonie), je pensais surtout à la mélodie, très belle, qui s'élevait de vos communications, qui ne se laisse pas codifiée par les lois parfois artificielles de « l'harmonie ». Ces « différends » (Lyotard) encouragent surtout des voies obliques, des silences, des écarts, qui fassent naître justement de nouvelles possibilités de dialogue, intra et interdisciplinaires. Je pensais aussi à Todorov, cité par un intervenant, dont le livre La Vie commune encourage lui aussi (et en connaissance de cause) ce nouveau regard porté au savoir de la littérature (artistique tout aussi bien), un savoir multiple qui crée véritablement un nouvel espace de connaissances, de dévoilement et de déploiement, un espace commun, transitionnel, qui nous fait cruellement défaut dans les cloisonnements du réel, de nos fausses réalités.

Votre projet-mouvement-manifeste et vos communications d'aujourd'hui sont la preuve concrète que cet espace est en train de renaître. Je vois cela comme une « promesse de bonheur », pour nous et les étudiants qui se lancent dans la « recherche », la vie tout court, et la voie que l'université doit suivre.

Mardi 20 novembre 2012 : Discussion à partir du compte-rendu de la séance avec Jean Kaempfer (31 janvier 2011), publié sur le site de Transitions, dans la rubrique « Civilités » le 11 février 2012

Exposé d’Hélène Merlin-Kajman

Hier, j’ai rappelé en quelques mots ce qui a formé le, ou plutôt, les points de départ de l’initiative du mouvement de Transitions. Brice Tabeling, Lise Forment, Sarah Nancy et Mathias Ecoeur ont chacun parlé de leur façon de s’y inscrire, et nous avons évoqué aussi le but du colloque organisé à Paris en octobre, « “Littérature” : où allons-nous ? » auquel Bill Burgwinkle, Emma Gilby et Nicholas White nous ont fait l’amitié d’intervenir et de participer. Je disais donc hier que notre mouvement s’est inscrit dans le contexte de ce que tout le monde désigne aujourd’hui, non sans raison, comme la « crise des humanités », ce qui semble appeler une « défense des lettres ». Ma conviction est que la crise est mal diagnostiquée. Certes, le sentiment de menace crée un front commun, ce qui est bénéfique ; mais il empêche de mesurer l’ampleur du désaccord où sont les chercheurs quant à la définition de leur objet. Or, si ce désaccord donne lieu à débats dans le cas de disciplines à forte identité épistémologique comme l’histoire ou la linguistique, il me semble que ces débats font défaut pour ce qui concerne la littérature : les méthodes et les définitions implicites de la littérature, et donc des corpus (textes majeurs ? mineurs ? « discours » dans leur plus grande extension ?) coexistent dans les départements où s’enseigne la discipline nommée « littérature » (et qui recoupe en partie, mais en partie seulement, le « français », discipline littéraire et linguistique des études secondaires) sans que ces différences, qui cachent des désaccords profonds, fassent l’objet d’une réflexion commune. C’est à ce défaut que notre colloque d’octobre a voulu commencer de répondre ; et Transitions se veut un lieu où notre inquiétude puisse trouver des expressions partagées sur une base non défensive, mais prospective.

D’où ce nom, comme je le rappelais hier : Transitions. Nous l’avons emprunté à la théorie de Winnicott concernant l’espace transitionnel. Dans nos exergues, nous explorons tous les sens possibles du mot « transition » : de ses emplois les plus métaphoriques à ses emplois les plus conceptuels. Hier, Mathias citait une phrase de François Cusset définissant les campus américains comme lieu de transition. Ceci engage la question de la définition de l’adolescence, et de ses transformations aujourd’hui, comme le rappelait Emma. L’adolescence comme cocon parental continué ? Il y a là un paradoxe typiquement contemporain.

On peut essayer de l’aborder par le détour de l’enseignement. Le document que nous avons soumis à notre réflexion commune de ce matin est le compte rendu de notre rencontre avec un professeur de l’université de Lausanne (il vient de prendre sa retraite), Jean Kaempfer (séance du 31 janvier 2011). Elle s’intitule « Dislocation de texte ». Il présente l’orientation d’un cours qu’il a donné sur La Débâcle de Zola. On devine aisément, à le lire, l’enseignant exceptionnel qu’il a dû être, tout en finesse, associant précisément les qualités que nous rêvons de voir toujours associées : une rare compétence professionnelle et un rare engagement personnel dans la transmission d’un goût (pour ne pas dire « passion ») pour la littérature (cf. du reste aussi, de lui l’article « Aux Belles-Lettres »).

Je voudrais me concentrer sur un point de la discussion que nous avons eue avec lui. Il s’intéresse, expliquait-il, non au texte comme système, non au « molaire », mais aux points de rupture qui s’y reconnaissent – au « moléculaire » (je renvoie à son exposé : ce sont des termes qu’il emprunte à Deleuze). Il s’agit d’aspérités, de détails intrigants, à parti desquels « on se perd dans l’incertain, dans l’inattendu », par lesquels on cesse d’être le bon élève qui sait bien se servir de sa boîte à outils. Concernant le dernier passage de La Débâcle présenté dans l’exemplier (n° 5), celui qui raconte la mise à mort du Prussien saigné par des Français comme un cochon, Jean Kaempfer disait : « une fenêtre fantasmatique s’est ouverte », et il soulignait alors le manque d’empathie totale qui caractérisait à ce moment-là le récit de Zola. Je ne discuterai pas de la question, pourtant passionnante, de savoir si oui ou non, cette sorte d’ouverture fantasmatique est typique de Zola – du naturalisme, de son programme –, soulevée dans la discussion par Manon Worms : elle conduit pourtant à se demander s’il s’agit vraiment, ici, de « moléculaire ». Je voudrais plutôt penser le problème en termes de typologie des plaisirs : quel plaisir le lecteur prend-il à ce qui fait sortir du symbolique (pour rester dans les termes du dialogue, auquel je vous renvoie) ? Emma, lors de la discussion d’hier, évoquait Le Plaisir du texte de Barthes, l’opposition qu’il y ménage entre « texte de culture » et « texte de jouissance ». Pour Jean Kaempfer, cette dernière, qui prône une rupture des barrières du symbolique, « dans le fond, embête Barthes ». Mais sûrement pas Zola ! Personnellement, je parlais, en ce cas précis, de transmission traumatique. Voilà ce que Transitions voudrait voir davantage interroger : ce dont nous aimerions suspendre la « jouissance », valorisée par la modernité comme le souligne Jean Kaempfer. Et je rattacherais volontiers notre mouvement à un texte de Lévi-Strauss, où l’anthropologue croit pouvoir comparer une séance de chamanisme et une séance de psychanalyse, en ce qu’elles traitent toutes deux le réel non symbolisé par la société. Je me demande si la transmission littéraire, qui passe le plus souvent par une scène (représentation théâtrale, lecture à haute voix, enseignement), ne mérite pas d’être interrogée à la lumière de cette perspective anthropologique. Cela devrait permettre de se poser la question suivante : si aucune société ne peut se passer d’institutions chargées du « reste » (souffrance, trauma…), la transmission littéraire n’est-elle pas une transmission en quelque sorte « transitionnelle » (selon l’intuition de D. W. Winnicott concernant la culture) permettant que ces différents points de risque (transmission traumatique vs transmission symbolique) soient en quelque sorte monnayés ensemble, placés sous la double protection de l’institution (notamment scolaire) et des sujets (de leur imaginaire) ?

Il semble urgent de repenser l’unité de notre discipline à la lumière de cette question : une société sans littérature est-elle envisageable dans un contexte démocratique, et qu’est-ce que cela voudrait dire, au-delà de nos habitudes institutionnelles ? Les sociétés sans « littérature » (et sans « civilité » ?) connaissent-elles des pratiques culturelles qui ont une fonction transitionnelle analogue ? Qu’est-ce que signifie « la littérature », envisagée à la lumière de l’anthropologie historique ?

Vastes questions – mais, même de façon invisible, elles se posent peut-être chaque fois que nous transmettons des textes littéraires, ce que l’exemple de Jean Kaempfer nous montre si bien.

Nicholas White : Le compte-rendu de cette séance avec Jean Kaempfer m’a beaucoup intéressé. En tant que zolien, je trouve beaucoup de points communs entre ses propositions et ma propre pratique, comme chercheur ou comme enseignant. Les zoliens, aujourd’hui, prêtent tous, je crois, une grande attention à ces « jaillissements » pour repenser le naturalisme, ils mettent en balance ce que Jean Kaempfer appelle le « moléculaire » et le « molaire ». Dans cette perspective, il me semble que l’histoire culturelle peut jouer un rôle essentiel : à la question de savoir quels types de médiations peuvent prendre en charge les « jaillissements » dont parle Jean Kaempfer, le tournant linguistique des années 1960-1970 avait apporté une première réponse ; l’histoire culturelle en apporte une autre, car elle s’intéresse à la fois aux théorisations déconstructivistes de la littérature et aux changements d’épistémè, aux déplacements paradigmatiques. Ainsi l’histoire culturelle permet de mettre en valeur des problématiques idéologiques y compris dans les « jaillissements ».

Mais j’aimerais avoir l’avis de mes collègues sur cette question, car à Cambridge, nous enseignons tous Zola, qui fait partie du nouveau programme établi pour les étudiants de deuxième année : à partir de janvier, ils devront lire La Débâcle.

Emma Gilby : Oui, et en plus, tous étudient ou ont étudié Thérèse Raquin en première année. Et tous adorent cette Thérèse Raquin qui t’a fait tant cauchemarder Hélène [rires dans la salle]. Ils arrivent toujours très enthousiastes en cours après leur première lecture du roman, car ils ont été pris par le suspens du texte. Mais au-delà du premier plaisir qu’ils éprouvent, au-delà du plaisir qu’apporte le mélodrame du texte, j’essaie de leur montrer comment des points de perplexité, des points qui leur résistent d’abord, peuvent aussi leur donner du plaisir : quand on « dépiaute » le texte, comme le dit Jean Kaempfer, il y a aussi un vrai plaisir pour les étudiants dans la découverte du roman comme objet culturel.

Hélène Merlin-Kajman : Mais parce que ce roman a provoqué en moi une véritable angoisse (et je ne suis pas la seule, comme le montre l’intervention de Manon Worms dans la discussion), je ne suis pas sûre que le plaisir critique, qui consiste à « démonter » le texte « comme un réveil », suffise à conjurer un tel sentiment.

Bill Burgwinkle : D’après mon expérience d’enseignement, les étudiants aiment le roman, mais n’ont pas envie de le relire, sans doute car le premier plaisir cèderait peut-être face à l’angoisse...

Hélène Merlin-Kajman : Peut-être sont-ils protégés, dans leur première lecture, par la langue étrangère, par la langue française qui est pour eux une langue étrangère. Mais quand c’est sa propre langue, on entend un rythme, une couleur des mots, une pulsation de la phrase. Difficile d’échapper à des sentiments très immédiats...

Bill Burgwinkle : Oui, assurément. De plus, dans les écoles d’État, l’enseignement du français ne comporte pas d’initiation à la littérature, l’apprentissage est uniquement linguistique. Une partie de leur plaisir à la lecture de Thérèse Raquin réside dans le fait de découvrir comment on peut raconter une histoire en français.

Dans mon cours, je prends souvent pour point de départ ce que dit Barthes de Zola dans Le Plaisir du Texte ; il recommande au lecteur de sauter quelques passages : « Lisez lentement, lisez tout, d’un roman de Zola, le livre vous tombera des mains »...

Claire White : Cette année, j’ai la chance de dispenser une des lectures consacrées à Zola. Je leur donne quelques clés pour le commentaire de texte. Auprès des étudiants, j’insiste toujours sur l’attention aux détails, sur le plaisir qu’ils peuvent prendre au style, et donc sur la nécessité de la relecture.

Emma Gilby : Oui, même dans cette scène d’égorgement, il peut y avoir un plaisir de la métaphore...

Un étudiant : Dans cette scène, je vois dans l’animal une figure possible de la transition : ce passage de l’humain à l’animal, l’animalité des hommes chez Zola confirment l’importance des transitions dans la littérature.

Brice Tabeling : Le cas que vous évoquez me semble plutôt être inverse à notre compréhension de la transition : c’est une régression, une réduction de l’être à la pulsion. La figure de l’animal serait plutôt, de ce point de vue, l’anéantissement de l’espace transitionnel, l’anéantissement de la possibilité de la transition.

Est-ce que ce texte peut être un objet relationnel ? Ou est-ce qu’au contraire il assomme ? Il n’est synonyme d’aucun plaisir pour moi. Est-ce que le plaisir du commentaire littéraire dont on a parlé, est-ce que la discussion autour d’une œuvre littéraire sauve nécessairement le lecteur de la « jouissance » de ces textes ? Je ne le crois pas.

Bill Burgwinkle : Ce que disait Daniel trouve une illustration particulière dans La Bête Humaine : la métaphore de l’animalité est très présente chez Zola.

Lise Forment : Pour aller dans le sens de ce que disait Brice, il me semble que dans cet extrait, il ne s’agit plus, précisément, de métaphore : « Donc, puisque tu es un cochon, je vas te saigner comme un cochon ». Ce « comme » est celui d’une identification pure et simple, il n’y a plus de jeu, plus d’espace entre l’homme et le cochon. La preuve en est qu’on l’égorge littéralement : on va bien au-delà de la simple image du « cochon de Prussien » fréquente à l’époque.

Hélène Merlin-Kajman : On pourrait sans doute opposer à ce que vient de dire Lise – en tout cas, c’est ce qu’on m’aurait opposé si, dans les années 1970, j’avais dit cela dans un des cours de littérature auxquels j’assistais à l’université – que le texte n’est pas purement référentiel, qu’il ne doit donc pas être lu au premier degré. Mais l’œuvre de Zola force la sensibilité du lecteur à se placer dans l’hypothèse d’une présence très concrète du réel : c’est pour cela que je suis entièrement d’accord avec ce que vient de dire Lise.

Pour le dire autrement, il est certain que le passage pose la question de la place de Zola (ou du narrateur, si l’on préfère) dans ce passage : la distinction faite entre les deux types d’égorgement peut être lue comme une faille dans l’identité ou l’unité nationale, comme proposait de le lire Nicholas White ; elle peut aussi être lue comme une mention ironique de la part de Zola, ironie qui souligne alors l’aspect barbare de la scène. Le type de complicité qu’il établit alors avec le lecteur, ou qu’il lui demande d’endosser, ne me paraît pas clair : il lui demande de jouir comme en esthète de ce supplément de barbarie démontrée grâce à l’ironie.

Nick Hammond : Je voudrais revenir, Hélène, sur une de tes affirmations dans la discussion avec Jean Kaempfer : tu y dis que notre tâche en tant qu’enseignants est de « protéger » nos étudiants du « traumatisme ». Je ne suis pas sûr de partager ton avis, car il me semble que mus par un tel désir, nous courons le risque d’imposer aux étudiants des lectures moralisantes...

Hélène Merlin-Kajman : J’ai vraiment dit « protéger du traumatisme » ?

Nick Hammond : Tu as dit exactement : « je ne pourrais pas lâcher des élèves devant ce texte sans y passer du temps, avec eux, en freinant la jouissance et protégeant du traumatisme, parce que sinon on ne fait qu’intensifier la part sadique de l’écriture (de l’écrivain). »

Hélène Merlin-Kajman : Alors je suis entièrement d’accord avec moi-même [rires dans la salle]. Mais je comprends totalement ta question. D’abord, je voudrais souligner que la décomposition du symbolique prônée dans les années 1960-1970 était bien, en réalité, une morale – une morale construite contre la morale bourgeoise, mais une morale quand même. Pour cet impératif que je me fixe (celui de « protéger du traumatisme »), il ne s’agit pas d’une morale, même si derrière la civilité, il y a bien un horizon politique. C’est une position éthique : l’enseignant de littérature n’a pas à donner de contenus moraux, bien évidemment, mais il me paraît absolument nécessaire de réagir à une éducation qui s’est développée ces dernières années : l’éducation par le trauma. Tout se passe comme si l’on croyait à la vertu morale du traumatisme, comme si éduquer par le traumatisme, dont le paradigme est le traumatisme des camps de la mort, allait engendrer des êtes humains enfin incapables de faire souffrir un être humain. Or, rien n’est moins certain, outre (à cause de ?) la violence terrible qu’on fait ainsi subir à des enfants ou à des adolescents.

Emma Gilby : On ne peut nier que l’horreur joue un rôle fondamental dans la littérature enfantine, et cela dès les comptines dont nous parlions hier soir...

Hélène Merlin-Kajman : D’une part, il me semble qu’il y aurait des distinctions à faire selon les traditions (il y a des différences très nettes entre les fins des contes de fées allemands et celles des contes de fées français, par exemple). D’autre part, l’horreur dont il est question dans les comptines ne me paraît pas correspondre à la définition que je donne du traumatique, définition liée à la question de l’humain : le traumatique, c’est ce que l’homme a fait de pire à l’homme, et dont la représentation fait perdre confiance dans le monde humain. Une comptine, un conte de fée, sont lus comme des fictions..., des fantasmagories : ils libèrent le fantasme. La transmission traumatique fait l’inverse : elle le bloque sur l’horreur.

Bill Burgwinkle : Cela me fait penser à la littérature médiévale. Tout me fait penser à la littérature médiévale [rires dans la salle]. La violence est omniprésente dans la littérature médiévale, dans l’épopée ; elle est à la base de cette littérature, et donc de toute la littérature. Il y avait assurément un goût du public pour ces tableaux violents...

Hélène Merlin-Kajman : Mais on court toujours le risque que ce ne soit pas cathartique. L’était-ce ?

Bill Burgwinkle : Cela ne l’était sans doute pas ; on acquérait véritablement un goût pour cette violence.

Hélène Merlin-Kajman : La question est alors de savoir ce que l’on peut faire de ces textes-là. Au fond, c’est tout le débat entre Florence Dupont et Nicole Loraux et, vous l’aurez compris, je donne plutôt raison à Nicole Loraux.


[1] Claude Reichler, « La littérature comme interprétation symbolique », dans Claude Reichler (dir.), L’Interprétation des textes, Paris, Minuit, 1989, p. 81.

[2] Claude Reichler, « Avant-propos », dans Ibid.,p. 2-3.

[3] Bertrand Daunay, « Le sujet lecteur : une question pour la didactique du français », Le français aujourd'hui, n°157, 2007, p. 43-51. Cité à partir de http://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2007-2-page-43.htm (consulté en novembre 2012).

[4] Site du mouvement Transitions, Présentation de la rubrique « D’expériences ». http://www.mouvement-transitions.fr/d-experience/dessein (consulté en novembre 2012)

[5] François Cusset, French Theory. Foucault, Derrida, Deleuze & Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis, Paris, La découverte, 2003, p. 43.

[6] Donald Woods Winnicott, Jeu et réalité, Paris, Folio essais, 2002 (1ère éd. 1971 ; 1ère trad. française 1975), p. 262.

[7] Ibid. p. 21.