Séminaire

Séance du 14 février 2012

 

 Préambule

Pour Pierre François Berger, la mathématique est belle. Et comment ne pas être convaincu ? Nous connaissions la beauté à la fois mystérieuse et accueillante de son site « Nombredindoute », auquel la rubrique « Hospitalités » fait une place particulière, et nous savions, grâce à lui, qu’une formule peut être « élégante ». Mais tout brille d’une lumière nouvelle sous les explications que Pierre François Berger nous livre ce jour-là : la beauté, en mathématique, c’est la beauté du monde qui se laisse connaître au cours d’un moment de déprise, d’abandon, de flottement. Remonter à la surface, ensuite, pour restituer cette vérité en langage formel : tel est le travail du mathématicien.

C’est donc parce qu’il témoigne d’une vérité du monde qui s’est laissé toucher que le langage mathématique est beau. De là sa magie : nourri du sens mais « débarrassé » de lui, devenu pure « représentation symbolique », le langage mathématique fait effet sur le monde. À travers lui, « le réel se laisse manipuler ». C’est une magie, en quelque sorte, mais une magie « qui marche », la magie des Mages auprès desquels s’est formé Pythagore.

Beauté et magie, mais beauté terrible, mais magie fondée sur la perte. P. F. Berger l’admet : la mathématique puise à une extrême violence, « touche à des structures plus psychotiques que névrotiques ». Et son langage ne transmet quelque chose qu’à condition de faire le deuil du sens.

Voilà qui fascine et déconcerte : pouvons-nous y reconnaître ce dont nous voulons parler avec Transitions ? La difficulté est particulièrement sensible avec la situation du professeur : doit-il mener vers l’expérience terrible et belle de la « scène primitive mathématique », sans laquelle aucun travail ultérieur n’est possible, ou vers un détachement du sens, dans le maniement réglé du langage formel ? Doit-il apprendre à « faire » ou à « utiliser » (H. Merlin-Kajman) ? Cela ne se résout, explique P. F. Berger, que si l’élève comprend que la liberté absolue se trouve dans la contrainte absolue – perfection des marionnettes célébrée par Kleist – et que si l’élève transforme le désir en volonté. Comprendre cela, c’est se donner la possibilité de réparer la nécessaire séparation entre soi et le monde. Réparer comme la poésie répare. Car, continue P. F. Berger, il y a bien, à l’origine, cette même « blessure », et cette même « volonté de revenir à l’indifférenciation primitive » ; mathématique et poésie sont aux « deux extrémités d’une même corde ».  

Même corde, mais autre extrémité… jusqu’où la différence ? la poésie, la littérature, seraient-elles malgré tout un peu plus du côté du danseur qui peut tomber que de la marionnette ? Joueraient-elles de manière moins « fatale » l’épreuve entre désir et volonté ? (S. Nancy) Il est tentant d’essayer de dégager ainsi une singularité littéraire, mais on sent que ce n’est pas simple – comme n’est pas simple l’effet des images avec lesquelles nous laisse P. F. Berger,  images d’une beauté par laquelle on se laisse vite hanter : le bain où Archimède se perd pour qu’advienne l’évidence de l’espace sans forme ; la rêverie de Georges Green, auteur de formules fondatrices pour l’électro-magnétique, qui, dans les nuages légers de farine dans son moulin, voit le courant invisible… Ces images où transitent l’ombre et le doute semblent avoir affaire aux nombres autant qu’à la littérature.

S. N.

Pierre François Berger est professeur de mathématiques en classes préparatoires au lycée Buffon. Avec son site Nombredindoute, il propose une « coquecigrue composée d’amis et de mathématiques, de textes et de cailloux, de morts et de techniques, d’enseignement et de paresses, de plumes et de nacres, de champignons, de calembredaines et de saisissements, de moments de grâce, de doutes, d’erreurs… »

 

 

 

 

 

Rencontre avec Pierre Fançois Berger

Autour de la beauté des mathématiques

 

 

 
 

29/06/2013

 

 

Présents : Sebastian Amigorena, Anne Berger, Marie-Hélène Boblet, Marie Briere, Gilbert Cabasso, Chaima Dellagi, Mathias Ecoeur, Adrien Fabre, Mathilde Faugère, Lise Forment, Virginie Huguenin, David Kajman, Hélène Merlin-Kajman, Sarah Nancy, Nancy Oddo, Tiphaine Pocquet, Christian Puech, Denis Roche, Brice Tabeling, Clotilde Thouret, Ningjun Zhuang.

Plan de la séance :

Introduction par Hélène Merlin-Kajman

00 : 00 : 40 Exposé de Pierre François Berger 

1 : 16 : 10 Discussion

1 : 36 : 15 Question d’Hélène Merlin-Kajman : De quel côté places-tu ce que tu cherches à donner à tes élèves : du côté de l’« utilisation » du langage formel ou du côté de la scène mathématique ?

1 : 42 : 10 Question de Sebastian Amigorena : Comment rapprocher l’évolution, la nécessité de survivre et la poésie ?

1 : 48 : 40 Question de Gilbert Cabasso : Pouvez-vous revenir sur la distance que vous prenez par rapport à la thèse d’Alain Connes ? 

2 : 03 : 40 Question de Sarah Nancy : Malgré la proximité que vous montrez entre poésie et mathématique, y a-t-il selon vous une singularité de la discipline « littérature » ?

2 : 16 : 40 Question de Brice Tabeling : Pouvez-vous revenir sur l’efficacité mathématique, sur ce qui fait que l’univers est explicable par les mathématiques ?

Auteurs et œuvres cités par Pierre François Berger :

Rainer Maria Rilke, Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910)

Heinrich Kleist, Sur le théâtre de marionnettes (1810)

Franz Kafka, « Le Silence des sirènes », « Prométhée », « La vérité sur Sancho Pança »

Carlos Castaneda

Alain Connes et Jean-Pierre Changeux, Matières à pensée, Paris, Odile Jacob, 1992.

Misha Gromov, « Entre deux miroirs », texte du catalogue de l’exposition Mathématiques - un dépaysement soudain, 21 octobre 2011-18 mars 2012, Fondation Cartier pour l’art contemporain.

Franz Kafka, Cahiers in-octavo (1916-1918), Paris, Payot-Rivages, 2009.

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