Séminaire

Séance du 06 février 2013

 

 

Préambule

C’est l’hypothèse qui est au principe de notre mouvement : la littérature aurait cette capacité à « dégager une aire neutre d’expérience », selon les termes de Winnicott, contribuant ainsi, par cette mise en relation de l’intérieur et de l’extérieur, à la « tâche sans fin d’acceptation de la réalité ». Et c’est la première fois que nous recevons un psychanalyste : Paul Denis, dont le travail se réfère souvent à la littérature. Nous avons donc des questions, nous avons de la curiosité !

Le plus immédiatement frappant, pour nous, est le contre modèle que dessine Paul Denis : à l’espace transitionnel, il oppose l’espace imagoïque, espace où le psychisme, débordé par l’excitation, n’a pas les moyens du refoulement mais seulement de la répression, qui le bloque dans des identifications aliénantes. Or, défaire les imagos, mettre en œuvre un refoulement capable de les neutraliser, la littérature peut y contribuer. Par le « jeu de conduites, de représentations » qu’elle offre, elle aide à « donner forme à l’excitation », elle aide à rendre lisible ses propres émotions. Avec ce privilège incontestable sur le doudou, que c’est avec le monde intérieur d’un autre qu’elle met en contact.

Le rapport, pour autant, n’est pas toujours simple et euphorique. La peur peut prendre le dessus. Car « chaque livre a son potentiel de suscitation éventuellement explosif » (P. Denis). L’effet transitionnel de la littérature n’est donc pas donné d’avance. Et de quoi cela dépend-il ? Peut-être pas entièrement du contenu, s’il est avant tout question de la capacité à « donner forme, à cartographier des émotions » (S. Nancy) ? À ce titre, la notion de contresens est-elle encore valable  (A. Régent-Susini) ? Disons qu’il peut y avoir des « contresens heureux » (P. Denis), et que le contenu, lui-même, se rejoue avec la transmission.  P. Denis insiste : la littérature doit être plutôt « délivrée » qu’« enseignée ». L’accompagnement joue un rôle majeur ; il n’est pas toujours facile à mettre en œuvre.

La littérature est ce pays où l’on n’arrive jamais, dit P. Denis en citant André Dhôtel, et vaut parce qu’on n’y arrive jamais. Résolument du côté du bonheur, mais sans illusion sur l’ampleur de la tâche. La manière dont Paul Denis pose le problème a de quoi nous tenter.

S. N.

Paul Denis est psychanalyste, membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris, ancien directeur de la Revue française de psychanalyse, codirecteur de la collection « Le fil rouge » aux PUF. Il a publié de nombreux articles dont certains ont pris pour point de départ des textes de Balzac ou Valéry, et plusieurs livres: « Emprise et satisfaction, les deux formants de la pulsion », « Rives et dérives du contre transfert », « De l’exaltation » et aussi « Sigmund Freud 1905-1920 »,  « De l’âge bête » et deux  Que sais-je ? : Les phobies et Le narcissisme.

 

 

 

 

 

Rencontre avec Paul Denis

Psychanalyse et littérature : l'espace transitionnel

 

 

 
 

21/06/2014

 

 

Présents : Adrien Chassain, Mathias Ecoeur, Samuel Estier, Axelle Demant, Livia De Peretti, Linda Farès, Mathilde Faugère, Catherine Gobert, Yannis Henry, Marc Hersant, Virginie Huguenin, David Kajman, Kanokwan Katawan, Florence Magnot-Ogilvy, Emmanuelle Mortgat-Longuet, Elise Massiah, Hélène Merlin-Kajman, Sarah Nancy, Tiphaine Pocquet, Anne Régent-Susini, Brice Tabeling, Julien Vermeersch, Ningjun Zhuang.

 

Plan de la séance

 

Ouverture par Hélène Merlin-Kajman. Questions : Est-ce que la culture ne peut pas en fait fonctionner aussi sur le «mode imagoïque » ? Seriez-vous d'accord avec l'idée que la littérature puisse être enseignée comme un objet transitionnel ? L'enseignant pourrait-il parler le langage du « système représentationnel » ?

00 : 25 : 13 Présentation de Paul Denis

01 : 20 : 00 Question de Samuel Estier : Dans le questionnaire, nous posons la question : « Est-ce grave selon vous si… » Quel est, selon vous, l’influence sur le psychisme de cette incapacité à la lecture ?

01 : 29 : 44 Question de Catherine Gobert : On pourrait opposer les exemples que vous donnez où la littérature peut aider à accepter une séparation intolérable dans la vie réelle (par exemple, la mort de Jean Valjean), à celui que vous développez ailleurs de Valéry incapable de lire Proust. C’est donc que la littérature peut aussi avoir des effets violents ?

01 : 30 : 48 Question de Sarah Nancy : Peut-on supposer que certaines œuvres littéraires et musicales sont plus aptes que d’autres à faire peur ? Ou est-ce que tout dépend du contexte de transmission ?

01 : 34 : 44 Question de Sarah Nancy : Seriez-vous d’accord pour dire que dans, une certaine mesure, accompagner l’interprétation d’un texte littéraire consiste principalement à aider à mettre en forme des émotions, et que la vérité n’est pas ce qui est recherché ?

01 : 36 : 00 Question d’Anne Régent-Susini : Lorsque vous dites, par exemple, que « le Rouge et le noir et Crime et châtiment racontent un matricide »,  est-ce juste une façon de parler ou dites-vous qu’une telle interprétation constitue une clef de lecture incontournable pour les œuvres en question ? Comment la liberté du lecteur se construit-elle par rapport à cette interprétation ? Est-ce qu’il y a un contresens possible ?

01 : 43 : 30 Question d’Adrien Chassain : Est-ce que ce qui fait peur dans la littérature, et qui est peut-être ce que l’enfant sent très vite, ce n’est pas que la littérature est un lieu d’intelligence, au sens étymologique, c’est-à-dire un réseau de liens et de références à l’infini ?

01 : 58 : 28 Question de Linda Farès : Dans la lecture, est-ce que l’identification suffit ou doit-elle être dépassée pour faire accéder l’enfant à l’altérité ?

 

Auteurs et œuvres cités dans la discussion :

Paul Denis, Eloge de la bêtise, Paris, P.U.F, 2001.

Molière, L’Ecole des femmes

P. Denis, « Phobie de la passion et sexualité narcissique », Libres cahiers pour la psychanalyse, 2012/1, n° 25.

Alain Braconnier, « Entretien avec Paul Denis », Le Carnet PSY 9/ 2007 (n° 122), p. 40-49.

Paul Valéry, « La Jeune Parque »

P. Valéry, Cahiers

Bertold Brecht

Antonin Artaud

Louis Marin

Victor Hugo, Les Misérables

Charles Perrault, « La Belle au bois dormant »

Joris-Karl Huysmans, À rebours

Marcel Proust, À la recherche du temps perdu

Marion Milner

Stendhal, Le Rouge et le noir

Fiodor Dostoïevski, Crime et châtiment

John Nemiah et Peter Sifneos - concept d' « alexithymie »

Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac

Charles Baudelaire : « – Hypocrite lecteur, –  mon semblable, – mon frère ! » (Les Fleurs du mal, « Au lecteur »)

Colette Chiland

Honoré de Balzac, Modeste Mignon

H. de Balzac, Albert Savarus

Madame de Sévigné, « Comment? j'aime à vous écrire! C'est donc le signe que j'aime votre absence, ma fille : voilà qui est épouvantable. »

Lagarde et Michard

Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses

Marcel Aymé, Les Contes du chat perché

Jean Renoir, La Grande illusion

François Coppée

André Dhôtel, Le Pays où l’on n’arrive jamais

Charles Perrault, « Peau d’âne »

Alexandre Dumas, Les trois mousquetaires