Séminaire

Séance du 18 novembre 2015

 

Préambule

La question n’a pas été posée directement. Mais elle flotte dans les échanges : Les Enfants rouges (film, 2013), Mes derniers mots (roman, 2015), œuvres de Santiago H. Amigorena, sont-elles des œuvres transitionnelles ?

La rencontre avec l’auteur organisée par Transitions le 18 novembre 2015 a été l’occasion de la tester plutôt que d’y répondre par un « oui » ou par un « non » - ce qui aurait été une terrible caricature de ce que nous essayons de faire et de penser. Nous l’avons parcourue tant du point de vue de l’auteur (doit-il se préoccuper de ce que ses œuvres feront à ceux qui les verront, liront ? doit-il avoir une idée, une image, du lien qu’elles créent entre eux ?) que du point de vue de l’instance réceptrice : comment nous sentons-nous en lien avec les autres à travers telle ou telle œuvre, qu’éprouvons-nous de son partage ? et comment en parlons-nous, comment la commentons-nous, la transmettons-nous ? À l’aune de quelle définition, implicite ou explicite, de ce que sont, ici, la littérature et le cinéma ?

Le point de départ n’était pourtant pas dans cette question, mais dans la place et la fonction de l’amitié dans l’œuvre de Santiago  Amigorena, place et fonction toujours fatalement politiques de son point de vue.

Alors, ces questions font un ricochet : y a-t-il une politique de la transitionnalité (de Transitions ?) ? A-t-elle un rapport avec l’amitié, avec l’amour ?

Voici des perspectives qui nous invitent à élargir notre réflexion – à prendre des risques nouveaux, peut-être.

H. M.-K.

 

 

 

 

Rencontre avec Santiago Amigorena

 

 
 

18/11/2015

 

 Amitié et Politique

Présents : André Bayrou, Etienne Brichet, Chantal Briet, Carlo Brio, Noémie Bys, Adrien Chassain, Julien Farrugia, Mathilde Faugère, Lise Forment, Nathalie Hao-Law-Chong, Julia Heller, Jean-Nicolas Illouz, Natacha Israël, David Kajman, Ophélie Legris, Christophe Loizillon, Gabriel Marie d’Avigneau, Laure Savauge, Anouck Siboni, Brice Tabeling, Claire Trestour, Boris Verberk.

 

 

Plan de la séance :

0:00 à 20:44 Introduction-intervention d’Hélène Merlin-Kajman :

C’est un plaisir pour moi d’accueillir Santiago Amigorena, écrivain, scénariste, réalisateur. C’est la deuxième fois que nous le recevons : la première c’était pour parler de son roman 1978. On avait discuté essentiellement de questions d’enseignement, de transmission de, et par, la littérature aux générations actuelles – le titre rappelle 1968 et la décennie qui s’est écoulée. Aujourd’hui, Santiago, tu es là au sein du séminaire qui s’appelle A nos amis, en référence au livre du Comité Invisible, paru à La Fabrique l’année dernière. C’était à plusieurs égards une évidence pour moi de t’inviter : la première raison c’est notre amitié très ancienne qui n’a cessé de se suffire à soi-même et qui est passée par une égale préoccupation à l’égard de la littérature, de la politique et de l’amitié : je veux dire, ce n’est pas seulement une amitié mais c’est une amitié qui nous a amenés à réfléchir à ce que c’est que l’amitié.

On n’a pas besoin de t’avoir lu beaucoup pour comprendre combien l’amitié est centrale dans ton œuvre : d’abord dans tes récits autobiographiques, les personnages apparaissent avec les noms propres qu’ils portent dans la vraie vie, ils sont nombreux, ils reviennent depuis le premier livre et ils deviennent ainsi les amis du lecteur. Dans un entretien paru dans Transitions, Mathilde Faugère t’avait demandé : comment tes proches ont-ils reçu ce que tes textes ont livré de toi, d’eux et de tes relations ? Comment ta vie intime, amoureuse et amicale s’est-elle imposée dans ton travail d’écriture ? Et tu réponds : ce que je défends toujours c’est que quand j’écris sur quelqu’un, c’est que je l’aime. Mathilde relance et rappelle que dans ton livre, tu évoques la dispute avec un ami, Paolo. Dans ce passage, il y a, en italique, une phrase où tu dis que ce que tu rapportes, ce sont les choses comme elles se sont gravées dans ta mémoire : or, c’est une citation de L’amitié de Cicéron. Cela nous fait voir une fois de plus que la réflexion sur l’amitié t’a toujours habité. L’idée selon laquelle toute relation amicale serait le microcosme dans lequel se reflète le macrocosme de la Cité (attention, je ne dis pas que c’est la tienne) ne date pas d’hier : là, je schématise un peu trop des siècles et des siècles de débat, mais c’est un fait que dans la culture occidentale le croisement entre amitié et politique n’a jamais cessé de s’imposer à la réflexion. J’ai envie de rappeler que même dans la monarchie, où il y a un monarque et des sujets, il est supposé possible qu’un sentiment d’amitié relie ces derniers entre eux et à lui.

L’amitié s’impose à propos de ce que tu écris, non seulement en raison de ces amis qui reviennent mais aussi parce que, comme tu l’écris dans ta présentation des Enfants Rouges : « Les Enfants Rouges est né du désir de savoir si, en travaillant avec d’autres, il m’était possible de sentir ce que je ressens, seul, lorsque j’écris. Mais le but n’était pas de plier mes collaborateurs à mes caprices – fussent-ils des caprices amicaux. Le but était, sans scénario préalable, de faire naître des images et des sons avec eux. Le but était de ne pas être guidé par des idées mortes, échues dans un passé lointain sur le papier, mais par des envies vivantes : partagées. » Et je lis la dernière phrase : « S’il demeure sur l’écran de véritables traces de l’aventure que nous avons vécue ensemble, si on y voit ce qu’une forme d’amitié peut contenir de politique (dans la meilleure des acceptions de ce terme), si un peu de cet amour singulier qu’on partage lorsqu’on travaille réellement ensemble y est présent, alors – alors tout n’est sans doute pas perdu. » Cependant, dans Les Enfants rouges, le traitement du nom propre me semble différent de celui qui est le tien dans tes récits : le personnage « David » (l’acteur, chacun le sait et je ne vais pas insister lourdement, s’appelle David dans la vie réelle) est aussi le personnage d’une fiction politique un peu étrange, puisqu’il est tué : dans ce film, ce personnage lit un passage de L’insurrection qui vient du Comité Invisible, mais il va être tué plus par désœuvrement que par jalousie par le personnage de Jonathan quand celui-ci découvre que le personnage David et le personnage de Garance s’aiment. On peut donc se demander à la fin du film si l’on n’assiste pas au meurtre et de l’amour et de l’amitié politique. Il ya quelque chose de très sombre dans ce film, de façon inverse à ce qu’il arrive dans l’autre film de Santiago que j’aime profondément, Another Silence, et ce quelque chose de très sombre je l’ai retrouvé dans Mes derniers mots, récit apocalyptique, donc je me suis demandé s’il n’y avait pas un caractère apocalyptique aussi dans Les Enfants rouges, c’est-à-dire : s’agirait-il de montrer une espérance morte ? Quoique, dans Les Enfants Rouges l’espérance se poursuive à travers le personnage de Garance qui voyage à vélo dans Paris.

Apocalyptique, j’ai utilisé ce mot ayant oublié ce qu’on peut lire en exergue de Mes derniers Mots, une phrase de Gunther Anders: « Nous ne sommes apocalypticiens que pour avoir tort, que pour jouir chaque jour à nouveau de la chance d’être là, ridicules et toujours debout ». Ce qui m’a frappé en relisant l’entretien paru sur Transitions, c’est un passage où tu parles d’un autre récit, où le narrateur meurt à 124 ans étant l’avant-dernier être humain sur terre. Alors, dans Mes derniers mots il y a un personnage qui meurt à 124 ans et il n’est pas le narrateur du livre mais le narrateur de tes autres livres, ça ne saute pas aux yeux parce qu’il s’appelle William Shakespeare, et on apprend que tous les noms de cette fiction sont des noms donnés par d’autres personnages : William Shakespeare est appelé ainsi par le narrateur de Mes derniers mots qui s’appelle Bellarmin, nom qu’il a reçu, à son tour, par Yorgos. A l’issu de Mes derniers mots, savoir si le monde recommence c’est le problème à mon avis. Et je voudrais enchaîner sur le malaise que lire ce livre m’a donné : en fait, ce livre m’a mise en colère. Pourquoi ? Il est assez et parfois extrêmement envoûtant, notamment à cause de l’emploi presque systématique des anaphores. Ces remarques ont le but de te poser cette question : ce livre-ci ne fonctionnerait-il pas à la manière non pas de la littérature mais de ce que J.-L. Nancy appelle « mythe » ?

Ce qui me fait me poser la question c’est le côté envoûtant de l’anaphore et le côté très assertif et sentencieux d’un certain nombre de propositions de ce livre, qui ne procède, au fond, que par propositions. Donc : ce livre, comment veut-il réunir autour de lui les lecteurs ? Comme des amis ? Et au-delà de cette question portant sur ton livre, qu’est-ce que réunir des lecteurs autour d’un livre ? est-ce que c’est les réunir comme des frères et donc dans une certaine cohésion ou adhérence avec le livre, une cohésion qui empêche de jouer avec le texte ?

20 : 45 à 28 : 22 Santiago Amigorena : Je pense que ça fait au moins 20 ans qu’on traîne ce débat qui a pris plusieurs formes dans nos dialogues. Je pense que c’est le bon moment pour mettre des limites possibles à ma pensée : en fait, par rapport au moment où on a commencé ces discussions, ça m’a paru très clairement, pendant que je t’écoutais, comment dans ce livre et dans Les Enfants Rouges j’ai essayé de toucher des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord et de toucher un peu les limites atteintes par les autres livres. D’ailleurs dans le livre paru en 2000, Une jeunesse aphone, le narrateur qui porte mon nom découvre la politique en Uruguay, et c’était bien avant A nos amis et bien avant qu’on parle de tout ça, mais c’était un moment pendant lequel on parlait des trois « communautés » : de Blanchot, de Nancy, d’Agamben ; donc, voilà, juste pour dire que le sujet m’a semblé très important, et en même temps le souvenir que j’ai, c’est que dans ce livre, pour faire un schéma un peu simple, l’amour et l’écriture sont d’un côté, l’amitié et la politique de l’autre. Je n’ai pas lu le livre de Blanchot ni celui de Nancy ni celui d’Agamben depuis une vingtaine d’années, mais lors du début de nos discussions autour de ce sujet, je me souviens d'avoir toujours placé l’amour dans une forme de relation fermée où l’horizon commun disparaît, alors que dans l’amitié l’horizon politique ne disparaît jamais. Et mon expérience de la littérature est totalement de côté-là. Je résume un peu ce que j’ai écrit. Je n’ai écrit en fait qu’un seul livre dont je viens de publier des morceaux. Dans ces livres, le narrateur s’appelle Santiago Amigorena, et l’ordre en gros suit la chronologie de ma vie. Je n’établis aucune différence entre ce qui m’est arrivé et l’invention, je déteste en fait quand on me parle d’autofiction, la littérature pour moi ne se joue pas là. Et à un certain moment, j’ai commencé à écrire d’autres livres, que j’appelle des Annexes, comme 1978, Des jours que n’ai pas oubliés, Mes derniers mots : je les appelle des annexes parce qu’ils ont un narrateur très défini qui n’est pas celui de mes autres livres. Donc celui qu’on surnomme William Shakespeare dans Mes derniers mots, c’est mon éternel crapaud graphomane, le Santiago Amigorena des autres livres. Dans les Annexes, j’essaye d’écrire contre moi. En commençant ce livre, je savais qu’il y avait quelque chose d’irrésolu dans ma pensée à propos de l’Apocalypse, j’avais aussi envie de me moquer des lieux communs des récents récits apocalyptiques, où il y a toujours une raison claire qui pousse vers la fin du monde ; et un autre motif moqueur c’est l’éternel retour du même, représenté par un poème de Borges. C’est très clairement une façon de me confronter avec quelque chose que je n’ai pas résolu. En général, je n’aime pas les Annexes, je n’aime pas en parler, et mes meilleurs amis n’aiment pas ce livre ! Mais la question que tu poses : est-ce qu’un livre doit former une communauté autour de lui ?

28 : 23 Hélène Merlin-Kajman : Ce n’est pas la question que je te pose, parce que si je la posais, ce serait presque à dire oui : mais c’est non, ce n’est pas mon point de vue. La question que je posais : quel type de lien les livres visent-ils à établir avec leurs lecteurs ? Je saurais répondre…

29 :02 Santiago Amigorena : … En tant que lectrice tu pourrais répondre…

29 : 04 –> 31 : 55 Hélène Merlin-Kajman : Je pourrais répondre comme lectrice, comme écrivain, comme commentatrice : ce serait la même réponse, mais sûrement je la varierais. Je veux dire que je te pose cette question comme écrivain parce qu’à mes yeux, comme commentatrice de ton livre, je saurais comment faire pour que le livre ne soit pas un mythe et ne constitue pas une communauté de frères au sens où Nancy le dit. Ton livre ne me l’interdit pas formellement. (Je finirai sans doute par entendre le côté moqueur, avec lequel j’ai toujours du mal). Bref, je saurais comment faire. Mais c’est une autre question que celle qui fait que, quand on écrit, on essaie consciemment ou volontairement que ça ne puisse pas arriver, la communauté soudée. On peut rater, car on n’est pas maître de la totalité des effets, mais on peut se donner comme but de ne pas vouloir la créer, cette communauté. Est-ce que tu es d’accord avec Nancy ? Blanchot et Nancy ne disent pas la même chose ! Et pour Blanchot il n’y a pas d’amour qui se referme sur lui-même, chez lui il n’y a pas de privé, il y a le collectif des amis : sa communauté, comme le souligne le dernier Nancy, nonobstant Blanchot parlant contre le mythe, est complètement mythique, et de même dans sa façon de critiquer le mythe : il le fait mythiquement.

31 : 56 à 38 : 24 Santiago Amigorena : Il est beaucoup plus difficile de parler comme écrivain que comme commentateur. Essayons de séparer l’écriture et le cinéma. Dans 1978 je donne une définition sur la littérature, qui n’est pas de moi, et qui dit (en gros, je n’ai pas une bonne mémoire) : lorsque j’écris je me sens justifié, au-delà de la valeur de ce que j’écris ; j’accomplis ma valeur d’écrivain. Et si quelqu’un venait me dire que tout ce que j’écris n’a pas de valeur, je ne prendrais pas cette nouvelle avec joie, mais je continuerais à écrire – pour qui ? pour moi-même, pour personne. C’est une réponse de Borges. J’ai toujours écrit pour moi et pour personne. Pour moi, le propre de l’écriture, c’est de proposer des lectures différentes, de donner la liberté de lire. Une des choses qui m’a fait beaucoup aimer Agamben, c’est ce propos de réconcilier parole poétique et parole philosophique ; je pense que c’est dans Le langage et la mort, où il y a un long passage sur les schifters en allemand, où en gros il définit comment le propre de la poésie (c’est une très vieille lecture, excusez moi !, il ne dit pas exactement comme ça !) c’est qu’il y a la position d’un narrateur qui demande d’adhérer à sa vision personnelle tout en donnant la liberté de lire comme l’on veut. J’ai toujours pensé le cinéma opposé à ça. Ça venait du théâtre et donc pour moi il a un caractère politique, lié à la cité. C’est-à-dire : pour moi le politique du cinéma gisait dans la réunion de plusieurs personnes au même endroit, au même moment pour partager une vision. Dans Les enfants rouges j’essaye de répondre à la question suivante : est-ce que l’amour peut devenir politique ? Le moment où le personnage de David est tué a été longuement débattu : moi j’ai beaucoup hésité sur l’intensité du coup de feu, qui à la fin est quelque chose de très irréel, de très lointain : dans ça, pour moi, il y avait quelque chose de la possibilité « est-il mort, n'est-il pas mort ? » : je ne pourrais pas endosser le sens univoque, donc c’est un peu une figure de style et je ne dis pas que c’est réussi !

38 : 28 Hélène Merlin-Kajman : Est-ce que tu peux préciser, s’il te plaît ? Tu veux dire : tu ne pourrais pas endosser le sens que ça prendrait…si ça le tuait ?

38 : 35 Santiago Amigorena : On a fait le film ensemble sans aucune histoire ni scénario. Je partais d’une image, j’écrivais une voix off, ayant toujours l’image sous les yeux, pour créer une fiction - …. à mon avis ce n’aurait pas été un bon scénario si l’on voyait dans la première scène quelqu’un qui donne un pistolet et dans la dernière scène le pistolet qui tue quelqu’un …. Voyons - on peut faire un bon film avec n’importe quelle histoire …. Mais la promenade de Garance à la fin du film ça veut dire finir avec quelque chose d’optimiste, avec la phrase de Louis-René Des Forêts.

44 : 50 Mathilde Faugère : Comment avez-vous choisi les images ? C’est un travail collectif ? Comment l’avez-vous organisé ?

45 : 23 Santiago Amigorena : Non, ce n’était pas très collectif ! je dois l’admettre. Pour moi, le parallèle avec l’écriture c’est que, quand j’écris sur des amis, même sur ce personnage de Paolo, l’ami de la dispute et avec lequel on ne se parle plus (la raison de la dispute fut éminemment politique), il faut que je sente de l’amitié au moment où j’écris. Et dans le film, même si j’ai utilisé les gens sans leur donner un statut égal au mien, je les dirigeais, comme tout autre metteur en scène, mais sans savoir moi-même où j’allais. Je ne sais pas si ça crée un partage un peu plus grand… je ne suis pas sûr… il faut leur demander ! Pour moi c’était très douloureux, et ce n’est pas une manière de faire très courante. David, parfois je lui demandais de tourner un truc, il me lisait un passage de l’Insurrection qui vient, mais je n’avais aucune idée si on écouterait sa voix, je ne savais jamais si une image était au début ou à la fin…(évidemment le long du chemin les choses s’organisaient mieux !).

47 : 31 David Kajman : En fait il y a une binarité assez claire ; d’un coté il y aurait la question de l’amour et de l’écriture, et pour ce qui est de ton personnage ce serait des amours à chaque fois hétérosexuels, et, de l’autre côté, l’amitié, la politique le cinéma ; dans la jeunesse de ton personnage c’est très souvent des amitiés de bandes de mecs, des choses qu’on retrouve dans le scénario du Péril Jeune. Dans une certaine mesure, chercher à faire rentrer la question de l’amour hétéro dans le cinéma, et la relier à la question de l’amitié et la politique, est-ce que ce n’était pas une manière de secouer cette dissociation entre le féminin qui relèverait du privé et la politique qui relève du viril ? (Cette manière de faire de l’amitié le fondement de la politique, on a déjà abordé la question à Transitions, est souvent assez viriliste.)

49 : 02 Santiago Amigorena : Tu dis au moment de faire Les Enfants rouges ou tu dis en général ? Ah, ok, Les Enfants Rouges. Je n’étais pas absolument conscient ! Tu connais très bien l’histoire : il y avait quelqu’un auquel on donnait un pistolet et je ne savais pas si c’était au début ou à la fin. Après dix minutes d’images, je me suis dit que c’était ennuyeux de suivre toujours ce gars, donc j’ai introduit la rencontre avec la fille dans le métro. Après je me suis aperçu qu’elle était très bonne comédienne et j’ai commencé à tourner autour d’elle ! il n’y avait rien de prévu ! Mais ce qui m’a interrogé, c’est ce que j’avais partagé surtout dans mon deuxième livre qui s’appelle Une jeunesse aphone : dans plusieurs, j’affronte l’homosexualité, occasion pour me faire taper sur les doigts surtout par mes parents psychanalystes ! L’homosexualité fait partie selon moi des impensables de notre époque, qui sont trop chargés de voiles qui empêchent de savoir d’où ça vient.

51 : 38 Marie : Je m’interroge sur le fait que vous deviez écrire les personnages dans l’amitié, par amitié, que vous les aimez. Et ceux que vous n’aimez pas ? Les méchants ?

52 : 07 Santiago Amigorena : Dans le cinéma j’écris beaucoup de films, je suis plus détaché en tant que scénariste, mais même là il faut qu’il y ait de l’amour ou de l’amitié pour que j’écrive sur un personnage, même si celui-ci fait des choses que je n’approuve pas. Sans amour et sans amitié, il me fatiguerait seulement. Et ça ne m’intéresse pas.

52 : 45 Marie : ça veut dire, d’une certaine façon, que même un personnage négatif, nous l’approuveriez.

52 : 54 Santiago Amigorena : Si j’arrive à écrire, si j’arrive à faire exister un personnage, ça veut dire que j’ai aimé quelque chose de sa négativité.

53 : 10 Christophe Loizillon : Un aspect qui m’intéresse, dans Les Enfants Rouges, c’est comment tu as essayé de mettre une organisation presque littéraire dans la fabrication d’un film. Normalement, on écrit le scénario avant, après on cherche l’argent, après on fait le film. Tu écris ta littérature de 5h du matin à 7h du matin, de manière quotidienne. J’ai l’impression que tu t’es dit : comment peut-on faire un film plus ou moins de la même manière. Et l’on peut dire que tu as fait presque ça avec le film, qui normalement n’est pas géré ainsi. Tu le faisais, par exemple, quand telle ou telle autre personne était libre, presque une organisation amicale, organisée autour du temps... Mais le cinéma, on le fait de façon opposée ! Une organisation qui a quelque chose en commun avec ton rituel d’écriture, voilà.

54 : 56 Santiago Amigorena : Ce n’est pas un film qui a coûté peu cher parce que tout le monde a investi son temps, mais c’est un film qui n’est pas dans un circuit d’argent. C’est vrai que j’ai essayé de m’adapter aux horaires des autres, même si dans le cinéma c’est exactement le contraire. Après il y a plein de choses que je n’ai pas faites avec Les Enfants Rouges, et qu’on pourrait encore faire avec le cinéma. Il y a un metteur en scène, J.-P. Limosin, qui a vu Les Enfants Rouges et avec lequel on a eu une idée de faire un film qu’on projetterait une fois par mois dans une salle et en fait on le changerait, on rajouterait des choses. Maintenant, on peut le faire, ça, une sorte de work in progress presque infini jusqu’à la forme parfaite. C’est le genre de choses qu’on n’explore pas avec le cinéma aujourd’hui. J’aurais aimé pousser les choses aussi avec la présentation des Enfants Rouges, j’aurais voulu que les personnages soient là, en salle, traînant dans le coin : un côté théâtral, en somme. Tout ça étant extrêmement loin de la littérature. Un livre, une fois fini, n’a plus rien à faire avec l’écrivain, l’écrivain n’est pas plus important que le lecteur, voilà : l’écrivain ne devrait pas faire ce que je suis en train de faire ici !

58 : 08 Brice Tabeling : Je pourrais prolonger la question de David, que j’ai trouvée passionnante. Il apparaît une distinction qui te permet de créer, qui est assez fixe. Du côté du mélange, de comment tu comprends la création, d’une responsabilité publique, je m’étonne que tu ne fasses pas davantage bouger tout ça. Tu ne ferais que répéter des contradictions, des apories, qui sont parfois un peu … Pour l’homosexualité, tu sembles la considérer comme un objet impossible…

59 : 55 Santiago Amigorena : Non, non, quand je disais impossible, c’est au contraire que je pense que je m’y confronte énormément dans la pensée et dans l’écriture : dans tous mes livres je parle au moins un peu de ça, je travaille disons sur ces sujets-là, l’homosexualité, les entorses, les êtres hybrides, c’est pour moi clair que quand on va chercher un peu loin on trouve toujours plus d’obscurité et à chaque fois moins de lumière. Je pense que ce serait vraiment long de parler de ça, il y a une phrase d’un auteur qui dit : quand l’on emploie le mot homosexualité, on ne l’emploie jamais dans le même sens qu’il avait en Grèce. Avec les êtres hybrides, plus on va loin, plus on trouve d’exemples de difficulté absolue à remettre ensemble ce que toute notre pensée depuis au moins vingt-cinq siècles a séparé, une animalité et une humanité, apollon dyonisos. Je ne suis pas assez philologue, mais dans ma manière de traiter ces sujets-là, il y a absolument des nœuds…

1 : 02 : 20 Brice Tabeling : La catégorisation que tu proposes, est-ce que tu es convaincu toi-même qu’elle ne catégorise rien ?

1 : 02 : 30 Santiago Amigorena : Rien, absolument rien… C’est que pour moi faire Les Enfants Rouges, c’est d’une violence extrême. Ce que tu vois comme une annexe (quelque chose que j’écris de manière différente : tous mes livres je les écris à la main, très tôt le matin, de manière, disons, très obsessive), une annexe, que j’écris directement à l’ordi, je ressens ce qu’en espagnol on dit « une gêne d’autrui, pour autrui », une gêne pour le genre humain en général : finalement, me décider à publier un texte comme ça, pour moi c’est une grande violence.

1 : 03 : 43 Hélène Merlin-Kajman : Mais Christophe disait que tu as fait le film comme tu écrivais le matin, alors que tu viens de dire que l’as écrit comme une annexe….

1 : 03 : 54 Santiago Amigorena : Non, j’essayais très clairement de voir si je pouvais rapprocher ce que j’écris le matin (je finirai dans un asile, je sais, pour cette façon d’écrire) et les annexes que j’écris l’après-midi, du cinéma, qui était encore tellement loin de cette autre partie de l’écriture dans son ensemble. C’est pour ça que je sépare les annexes et mon écriture du matin. Il s’agissait de voir si avec le cinéma, on pouvait faire des images, un film, avec tout ce que ma littérature peut mobiliser.

1 : 05 : 04 Christophe Loizillon : Et d’ailleurs tu n’as pas tourné loin de ton bureau !

1 : 05 : 10 Santiago Amigorena : Oui, oui, tout est fait pour être plus simple, on pourrait dire, pour avoir la liberté qu’on a quand on écrit, même si la liberté n’est pas une garantie de qualité. Dans le cinéma on dit toujours que la faute est de quelqu’un d’autre, parce qu’on n’a pas eu ceci, cela : alors qu’il faut de toute façon assumer.

1 : 05 : 44 Jean-Nicolas Illouz : J’ai beaucoup aimé dans le film que l’amitié porte le politique mais le maintienne dans un état naissant : on a le sentiment que si on allait un peu plus loin, on perdrait l’essentiel. Il faut que l’amitié conserve son caractère naissant. Le film, en fait, aussi d’après les mots que j’entends ce soir, se configure comme ce qui pourrait être, plus que comme ce qui peut être.

1 : 06 : 47 Santiago Amigorena : Oui, absolument. C’est le débat aussi qu’on a eu, la voix off écrite seulement au conditionnel, ce n’est pas du tout réfléchi, mais je trouvais que ce narrateur ne pouvait que parler ainsi. J’aime bien ce que vous dites, je ne sais pas si on peut l’utiliser à propos de l’amitié, je pense qu’on pourrait le dire par rapport à la sentence.

1 : 07 : 27 Hélène Merlin-Kajman : Je voudrais revenir à cette question de l’amitié : je ne suis pas sûre de totalement comprendre où s’arrête la dimension politique que tu associes à l’amitié dans les lignes que j’ai lues à propos des Enfants rouges ; et ce que tu viens de dire ne me convainc pas complètement, ni par rapport à ce que vient de dire Christophe, qui mentionnait une dimension inédite du temps qui ne me paraissait avoir forcément une connotation politique. L’enjeu politique, est-ce qu’il est dans la récusation de fait de ce qui ordinairement accompagne le cinéma (l’argent, la relation très autoritaire sur le tournage), comment ça s’articule avec l’amitié ? Je vois trois niveaux possibles : c’est un film fait avec des amis ; qui jouent à un moment donné une proposition sur l’amitié politique (niveau du représenté, disons) ; ces acteurs jouent dans conditions amicales et je vois comment ça se lie au thème même du film, mais il me manque l’articulation entre le sens politique représenté dans le film et la critique des conditions financières du cinéma. Ou plutôt, je vois trop la réponse et ça ne me satisfait pas !

1 : 11 : 20 Santiago Amigorena : Pour moi c’est un film qu’il faut voir ayant présent à l’esprit ses conditions de fabrication (ce qui n’est pas un éloge du film). Je reprends une phrase de Tiqqun : Il y a deux manières de faire de la politique : à partir d’un programme et à partir de l’amitié. Ce que le film se proposait en tant que moyen de faire du cinéma, c’est : qu’est-ce qui se passe si on commence à faire du cinéma à partir de l’amitié et non pas d’un programme ? Ce que j’espère, c’est que moi, Christophe et David on va faire d’autres films à partir de l’amitié plus qu’à partir d’un système économique figé. S’il y a donc un côté très prétentieux, il y a en même temps un côté très peu prétentieux.

1 : 12 : 58 Hélène Merlin-Kajman : Ça me tient à cœur, mais je veux le formuler de la façon la plus perplexe. Admettons que je sois une lectrice qui tourne tout vers le tragique et qui a été trop sensible au coup de feu à la fin du film. Tu as bien tué le militant qui portait de l’espoir dans le film ! Je prends Mes derniers mots, je suis toujours une lectrice qui met les choses au tragique, je n’ai pas capté les moments drôles, j’ai aimé certains des passages, si envoûtants, et je n’étais pas contente de les aimer, ça ne me laissait pas libre. Ma question : si on veut être d’accord avec l’idée que le lecteur doit être libre devant sa lecture, la tâche de l’écrivain ne serait-elle pas d’ouvrir cette possibilité ? Ne penses-tu pas que le coup de feu aurait dû être plus irréel, et le drôle du livre plus drôle encore ? Avec des marques plus évidentes ? Il n’y a pas vraiment de jeu. Il n’y a pas vraiment de liberté.

1 : 18 : 19 Santiago Amigorena : C’est une discussion qu’on pourrait avoir sur A nos amis, qui pour moi est un livre très optimiste et qui pourtant est perçu comme pessimiste. Je pense que c’est très profond cette différence de perception qu’on a du coup de feu : par rapport à la pornographie de la violence, par exemple, mon coup de feu est d’une discrétion absolue. Pour la lecture de mon livre : la phrase que j’ai mise en exergue ne rend pas optimiste un livre apocalyptique en disant que le seul but qu’on a c’est d’avoir tort, mais elle est drôle si on la met en rapport avec son temps. Il y a une phrase d’un poète argentin que j’aime beaucoup et qui est dans 1978 : « L’aveu d’un seul humilie chacun ». Je m’excuse de l’aveu mais je dois vous dire que j’ai écris Mes derniers mots en même temps qu’un autre bouquin, Des jours que je n’ai pas oubliés, livre très sombre et très intime : écrivant ce livre sombre et intime, je sentais le besoin d’écrire quelque chose de sombre sur le monde.

1 : 22 : 12 Chantal Briet : J’ai vu Salò ou les 120 journées de Sodome : c’est un film que je n’aurais pas voulu regarder et c’est le même sentiment que j’ai éprouvé en lisant Mes derniers mots : je n’avais pas envie de le lire, mais je ne pouvais que le lire. Chez Pasolini il y a la nécessité qu’on voie le film, même si c’est insoutenable.

1 : 23 : 13 Santiago Amigorena : J’ai très mal parlé d’un livre de Didi-Huberman, Les Lucioles, sur Pasolini, où il critique le pessimisme absolu et noir de Pasolini. Mais j’ai lu le texte sur la mort des lucioles de Pasolini et j’y ai trouvé une évidence de l’optimiste, de l’alerte. J’ai essayé d’écrire sur la fin du monde pour n’engendrer que la tendresse pour les personnages.

1 : 24 : 50 Chantal Briet : Du coup c’est comme si j’étais aveugle et ne savais pas juger de la qualité du livre ni du film. C’est comme si la démarche de l’œuvre était plus forte que l’acte de création.

1 : 25 : 20 Hélène Merlin-Kajman (s’adressant à Chantal Briet) : Comment tu nommerais la nécessité que tu évoques ? Le personnage à la fin du livre c’est un peu léger comme espoir ! Comment tu nommerais la nécessité qui te fait dire que c’est insupportable mais quand même nécessaire !

1 : 26 : 35 Chantal Briet : A ce moment je pense aux attentats : on sent la nécessité de se plonger dans l’horreur et de regarder. Je pense qu’il y a, même si je ne suis pas courageuse, quelque chose qui m’intéresse.

1 : 27 : 30 Hélène Merlin-Kajman : Mais dans le terme « Apocalypse » il y a une idée à connotation religieuse. Je ne reconnais pas que Mes derniers mots nous parle de ce dans quoi nous sommes plongés et qu’on n’a pas envie de voir : parce que la fiction se passe dans le futur, et dans ce sens il accumule le pire de tout ce qu’on peut imaginer et sous le signe de la Révélation. Donc : quel est le rapport entre l’apocalypse et la politique ?

1 : 29 : 15 Santiago Amigorena : C’est pour ça que tout à l’heure je disais que je l’ai écrit contre quelque chose, je l’ai écrit parce que je me demande s’il y a de l’Apocalypse qui ait une fonction politique positive. Je ne suis pas sûr de ça. Gunther Anders parle de manière explicite de sa génération, des premiers derniers hommes. Qu’est-ce qu’il y a de politique dans tout ça, c’est très difficile à dire, mais en même temps je suis la recette gramscienne dans Les enfants rouges, c’est-à-dire qu’il y a un déséquilibre entre le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté : plus on va loin dans une vision sombre et rationnelle de la réalité, plus on peut retrouver des forces optimistes face à ce noir. La position de Didi-Huberman me semble dangereuse, de dire, non, finalement, ce n’est pas si sombre. Pour revenir aux attentats, c’est un peu le discours général : quand même on attaque notre liberté, notre bien être, etc. Cela me semble très dangereux. De la même manière qu’A nos amis on peut le prendre comme un texte désespérant pour notre société capitaliste, mais moi plus j’y vois une critique fondamentale plus je vois qu’il y a une sorte de joie possible en ceux qui essayent.

1 : 32 : 44 Boris Verberk : Est-ce que dans la présence de l’Apocalypse il y a une sorte d’eschatologie qui marcherait aussi dans l’organisation des Enfants rouges, qui font voir au début un pistolet ? Peut-être le film finit-il d’une certaine manière parce qu’au début on a fait voir une arme qui va dans les mains d’un personnage coupé de tout lien avec la société. Je pense à une phrase dans le film : « Est-ce qu’on fait l’amour ? », ce qui n’a pas lieu, et après on n’est que dans la solitude.

1 : 34 : 00 Santiago Amigorena : A un moment, ce n’était pas sûr que dans le paquet qui contient l’arme, il y avait une arme ! Je ne savais pas si ça devait être le début ou la fin. J’aurais pu oublier le pistolet. Mais je n’ai pas de réponse : je ne sais pas si ce personnage avec le pistolet, on peut le percevoir comme un personnage dangereux, je n’ai pas de réponse à ça. Je reviens à G. Anders : ça me semble la formulation la plus claire. Le problème c’est que j’aurais pu oublier l’arme dans Les Enfants rouge ou ne pas écrire Mes derniers mots, mais est-ce que c’est possible, ça ? De ne pas considérer ce récit ? Ceux qui ont aimé Mes derniers mots sont mes amis les moins littéraires, ceux qui ont le plus besoin de cette fraternité dont on parlait au début. Je ne sais pas ce qu’il faut essayer ou pas, franchement.

1 : 37 : 37 David Kajman : Peut-être mettre en suspens la mort à la fin du film, est-ce que c’est un moyen pour dire que, toute présente qu’elle semble, l’apocalypse aujourd’hui n’a qu’une valeur potentielle ?

1 : 37 : 55 Santiago Amigorena : Oui, la voix off qui vient après ce coup de feu lointain dit que David et Jonathan ne sont que les deux faces de la même pièce, qu’en gros dans ce geste ils meurent tous les deux. Je dirais qu’un film où le personnage principal est très sympathique, un révolutionnaire de gauche qui à la fin triomphe, ce ne serait pas un bon sujet cinématographique !

1 : 38 : 40 Hélène Merlin-Kajman : Tu dirais qu’il n’existe pas du tout, ce film ?

1 : 38 : 41 Santiago Amigorena : Oui, c’est difficile à faire, je pense.

1 : 39 : 10 David Kajman : Je ne sais pas si la phrase gramscienne est encore valable, probablement même dans A nos amis on la critique. J’entendais l’autre jour parler du fait qu’en vrai on ne représente plus l’apocalypse sur scène parce qu’on la vit quotidiennement : il suffit de penser au travail, aux corps qui ne se touchent plus… ça c’est apocalyptique. Et donc il me paraît qu’il y a une attente de positivité. Est-ce qu’il n’y a pas un changement qui est en train de se faire par rapport à cela ? En vrai je suis en attente de voir mon camp gagner à l’écran.

1 : 41 : 26 Santiago Amigorena : Je comprends, c’est pour ça que je disais que ce que j’ai fait dans le film et dans le livre c’est d’essayer de prendre le récit apocalyptique et de le laisser tel qu’il est sans le tourner vers la simplicité de la science-fiction américaine. Il faudrait inventer un héros qui ne se réclame pas de l’idéologie dominante, ce qui est très complexe.

1 : 43 : 26 André Bayrou : On pourrait faire un film où on voit quelqu’un qui apporte les valeurs de la démocratie sans répandre forcément du sang, à travers la force de la conviction.

1 : 43 : 39 Santiago Amigorena : Moi je ne vois rien de positif dans un personnage comme ça. Je ne pense qu’il faille défendre la démocratie de cette manière. Ça allait très bien aux débuts des années 50.

1 : 44 : 21 Adrien Chassain : Je voulais juste proposer un parallèle entre cette idée gramscienne et le mode de production du film que vous nous avez raconté. Est-ce que vous retrouveriez dans la manière de faire le film l’optimisme de la volonté et dans le récit le pessimisme de la raison ?

1 : 45 : 47 Santiago Amigorena : Le film est né clairement de mon pessimisme sur le cinéma, qui est mon travail depuis 30 ans. Dans Mes derniers mots pour moi il y avait une forme de tendresse qui pouvait rééquilibrer le côté apocalyptique. Dans les Annexes il y a toujours un texte directeur qui n’est pas à moi : dans Mes derniers mots c’est l’Hypérion d’Hölderlin, un texte pour moi d’un optimisme énorme par rapport à l’homme et à la nature.

1 : 47 : 40 Hélène Merlin-Kajman : La phrase finale du film fait partie pour moi de ce que je désigne comme l’ordre de la sentence, où il y a quelque chose de très autoritaire. Dans mes petites fables [les fables d’Helio Milner, cf. la rubrique « Juste », « Les convergents »], le conteur est toujours présent et toujours avec de la noirceur, mais l’enfant n’en sort jamais écrasé (et le lecteur peut sentir que l’élan de l’enfant ne suffira pas à effacer cette noirceur). Ils ne sont pas deux faces de la même médaille ! Ils ne peuvent pas être sur le même niveau, sinon l’élan de l’enfant (l’option optimiste) viendrait d’où ?

1 : 49 : 55 Santiago Amigorena : Mais pour moi l’élan c’est Garance qui fait du vélo avec de la musique…. C’est la tendresse que j’essaye de mettre à côté de l’Apocalypse.

1 : 50 : 28 Christophe Loizillon : Est-ce que c’est une forme d’impuissance de ne pas réunir ces deux formes d’écriture (le matin très tôt à la main et sur sujets intimes, l’après-midi à l’ordi et sur le monde) ou de schizophrénie ?

1 : 50 : 55 Santiago Amigorena : Oh, de schizophrénie, sans nul doute ! Tu sais que j’ai besoin d’une épaisseur de labeur que j’aime bien voir dans l’objet qu’on me présente : ça, c’est présent dans les textes écrits à l’ordinateur, mais ça existe dans les écrits matinaux. Ça n’a aucun intérêt pour mes rares lecteurs, mais c’est important pour moi.

Auteurs cités: G. Agamben, S. Amigorena, M. Blanchot, J. L. Borges, Gramsci, J.-L. Nancy.

 

 

 

 

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