Juste une fable n° 29

 

Trope n° 16

 

 




Le milan, le rossignol et l'hirondelle


Helio Milner

18/10/2014

La mer plissée par le vent s’était prise d’effroi.

Au loin, j’entendis un chant qui grandissait et reconnus sa voix.

Il poussera la porte, entrera comme un feu follet et se jettera dans la bergère en riant.

- Je veux la fable d’un chant !

Mais la mer plissée par l’effroi me rendait irrésistiblement maussade ce jour-là.

- Un jour, Philomèle le rossignol... commencerai-je.

- Ah non, non ! Je ne veux plus entendre parler ni d’elle ni de sa sœur l’hirondelle !

- Enfant de mon cœur et de mon imagination, il y a tant de choses dont moi aussi j’aimerais ne plus entendre parler !

Mes fables sont comme le monde : changeantes, lancinantes, oublieuses, sinistres, joyeuses, selon le moment.

Que sais-tu de ce que peuvent devenir deux sœurs tourmentées, une fois l’extrémité de leur malheur dépassée ?

Pourquoi les priver de survie ?

Pourquoi dénier au rossignol la chance de chanter ?

- Mais que pourrait-elle bien chanter ? demandera-t-il, rembruni.

Ce jour-là, j’entendais monter l’effroi de la mer que le vent tourmentait.

- Et que veux-tu donc qu’elle chante, sinon son malheur, justement ?

Serais-tu comme le milan de la fable, qui l’attrape et la croque

Plutôt que d’écouter son triste chant ?

- C’est à moi que tu poses cette question ? dira l’enfant en bondissant hors de la bergère et piétinant le sol de ses pas. Je te déteste ! Je ne sais pas qui est ton milan, mais je t’ai demandé un chant, pas un oiseau à manger !

- Très bien, alors, écoute-moi tranquillement.

L’enfant se rassit dans la bergère, fixant sur moi ses yeux noirs de colère.

- L’hirondelle un soir s’attardait avec ses compagnes

Dans un bois sombre où la brise lui porta

Soudain les éclats d’un chant doux

Et familier. « Ma soeur ! »

S’exclama-t-elle en la rejoignant d’un coup d’aile.

« Depuis combien de temps, depuis combien d’années ne vous avais-je revue !

Quant à moi, j’ai pris demeure sous les toits des maisons, et peu à peu la vie en compagnie est venue m’apaiser.

Mais vous qui avez fui dans les forêts, au creux des vallons,

Leur sauvagerie entretient votre mélancolie.

Jamais vous n’oublierez l’horreur commune du passé

Si vous restez parmi ces tristes séjours.

Repartez avec nous.

Venez nous faire entendre votre voix mordorée :

Elle consolera la peine de bien des coeurs déchirés. »

« Chère soeur, répondit Philomèle en s’arrachant aux ailes qui l’étreignaient,

Je ne veux pas oublier. Mon chant n’est que pour moi,

Il réanime mes poumons calcinés.

Vous avez eu un fils : vous l’avez fait manger.

Moi, j’ai connu le viol et la stérilité.

Mon chant renaît tous les jours,

Et tous les jours il fait renaître ma douleur,

Il la charme, il l’inverse et me fait vivre encore un jour pour chanter un jour encore.

Qui d’autre que moi pourrait en être consolé ?

Laissez-moi à ma peine et à mon chant, car toute confiance m’a quittée. »

Progné s’éloigne tristement.

Un cri la fait se retourner.

Un milan sur Philomèle a fondu.

Il refuse de se laisser charmer par le chant.

« Ventre affamé n’a pas d’oreilles », s’écrie-t-il en riant...

- ... Mais un enfant qui avait tout vu prit son lance-pierre et frappa l’oiseau de proie.

Et voilà Philomèle sauvée.

Le milan ne mangera pas le rossignol.

L’hirondelle rentrera chez elle.

Et l’oiseau chanteur continuera d’enchanter tout promeneur qui passera dans les parages de son bosquet troublé...

- Et puis après, murmuré-je, écoutant toujours la mer que l’effroi lassait.

- Je t’avais demandé un chant ! s’exclama l’impatience de l’enfant qui bondissait encore de la bergère et ouvrait déjà ma porte, laissant entrer une vague de vent clair.

- Tu m’as interrompu, ferai-je remarquer. Progné et toute la bande de ses compagnes allaient fondre sur le milan. De la sorte, elles aussi, elles auraient sauvé Philomèle. Mieux : sans l’intervention de l’enfant, elles l’auraient convaincue qu’il est bon de vivre en compagnie des gens...

- L’enfant aussi, me déclara péremptoirement l’enfant.

 

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