Juste une fable n° 77

 



 

 

Trope n° 36

 

 



Les oreilles du lièvre

 

 

Helio Milner

17/06/2017

 



Mois de février funeste aux fables !

Mais sur la mer l’ouragan s’était tu.

J’écoutais la pause, j’écoutais l’océan perclus.

Les vagues grondaient en roulant leur ressac et j’étais las aussi.

Mais je songeais, je songeais si fort que mes pensées, en m’apparaissant, me semblaient s’accrocher aux cloisons de la pièce où je me tenais, toujours la même, au cœur de la maison du bord de la falaise, s’effilocher, se déchirer.

C’était neuf et c’était antique comme un crime de sang.

 

L’enfant jaillit, exultant.

 

— J’ai vu un lièvre courir sur la lande !

— Bonne nouvelle, répondrai-je machinalement, la tête dans ces rêveries funestes que j’aurais aimé fuir.

— Tu ne m’écoutes pas, remarque-t-il en s’asseyant.

Je lèverai les yeux, et mes pensées replient leurs mouvements et se rabattent et se ramassent en moi, replient leurs fourvoiements dans mon crâne.

Repos. Concentration. Tendresse.

— Mais si, lui dirai-je en surveillant mon soupir. Le lièvre est donc revenu ?

— Comment ça, revenu ?

— Tu ne connais pas son histoire ?

— Non. Mais je la veux ! m’ordonne-t-il en s’enfonçant dans ma bergère.

 

C’est dans un pays où frappe soudain un décret inique contre les animaux cornus.

Ils devaient tous partir, quitter les lieux. Le premier clandestin qui resterait et serait pris, on lui arracherait ses cornes ; et, pour punition, ses oreilles aussi.

Et le décret l’on exécuta, et les bêtes à corne partirent.   

Un lièvre fit son bagage. Voilà son voisin qui s’étonne.

— Ami, dit-il, pourquoi donc partez-vous ? Je ne vous vois pas de corne.

— Mes oreilles, fit le lièvre. Hier j’ai vu leur ombre dans l’étang, et d’abord j’eus peur pour ce malheureux qui n’avait pas su fuir. Mais ce n’étaient pas ses cornes, c’étaient bien mes oreilles à moi. Quelqu’un d’ici pourrait hélas les dénoncer pour cornes. Et vous-même, voisin, avec vos antennes (car le voisin était grillon), je ne vous trouve pas bien sage de demeurer ici.

 

Je rêve en regardant la mer. Février n’est pas loin du printemps, penserai-je. La falaise est vaste et la lande est clémente.

L’enfant ne rêve pas.

Il réfléchit ardemment.

 

— Tu penses qu’il avait tort ? me demande-t-il enfin.

— Mais il le pense lui-même, dirai-je. Puisqu’il est revenu.

Il réfléchit encore et encore.

— Il y a un vice de forme dans ce que tu racontes, fit-il.

 

J’en conviendrai, et que les temps se mêlent.

 

— Il faut apprendre à les séparer, objectera l’enfant fermement. (J’aime son ardeur, j’aime sa candeur). Le lièvre est revenu ici, sur la falaise, parce qu’il arrive tout simplement de là-bas.

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