Juste un poème n° 19

 



 

Braque

 

 


Dionys del Planey

20/06/2015


Braque

 

 



Il a le regard vif perdu dans le vague

Faut du calme pour se perdre

De la tranquillité

Et le moindre bruit le sort des rêves pour le ramener au concret

Il lève la tête

Fixe la bague qui vient de tomber

Ou la porte qui vient de claquer

Ou l’homme qui vient de crier

Ou l’enfant qui vient de naître

 

Chaque fois il a vraiment eu peur

Peur de quoi ? S’il le savait…

 

       S’il était un chien ce serait simple on parlerait d’instinct

       Mais voilà lui c’est un homme on parlera d’angoisse

 

Et l’angoisse

Il connaît

Celle qui ravage les tripes

Celle qui fait peur aux autres

Celle qui rallie aussi mais qu’est ce que t’espères construire sur une alliance de ce type ?

Un parti ?

Un couple ?

Allez laisse moi rire

 

Il sourit et sur le champ de bagarre qu’est son visage ça fait comme

Un soleil

Comme si soudain une amante était passée déposer dans sa boîte crânienne un baiser

justement là où ça s’agite là où ça fait mal

 

l’Agent se penche vers lui

— Braque, c’est un surnom ou c’est votre état civil ?

Il lève la tête et répond d’un ton neutre

— Je n’ai rien à déclarer.

 

Il est assis mais il voudrait courir

Il a faim, mais il a de l’orgueil

Il ne demandera pas à manger

 

 Heureusement restent les rêves

 Enfouis

 

        Ceux qui calment ceux qui apaisent

 

 Il y a cette fille qui semble émerveillée de tout comme si son regard projetait sur le

       monde une beauté insoupçonnée

 

        Il y a ce film et ce personnage brisé qui l’a rempli d’émotion

 

        Il y a ce poète qui lui a permis de vivre la folie par procuration

 

 Il y a l’odeur de la cheminée et cette jeune femme sous le drap blanc et ses seins qu’il

        saisit à pleines mains et putain il en chialerait mais pas ici

 Pas devant l’Agent

 

        Tu parles, que les rêves apaisent…

 

        Où pleurer ?

 

On était beaux sous les draps à lire à voix haute à regarder la pluie tomber dehors à

       s’épauler à se mordiller comme deux chiots
       Tu me regardais comme si j’étais beau

 

       — Vous reconnaissez-vous dans la mouvance anarcho-dépressive ?

 

J’suis l’ombre de ton système, j’suis le grain de sable broyé par les rouages

T’as niqué mon amour avec tes pubs

T’as niqué mes camarades avec ta violence

T’as niqué mes amis avec tes promesses d’emploi

Tu m’as laissé quasi seul et

Ravagé

Et maintenant

Tu espères me nommer ?

 

       — Peut-être avez-vous déjà commis des braquages ?

 

Oui, j’avais une complice

Elle et moi on volait au monde entier le peu de beauté qu’il lui restait

Et le soir sous les draps

On se la redistribuait

 

— Je n’ai rien à déclarer.

— C’est pour le chien alors ? C’est pour votre ressemblance avec le chien du même nom,

       qu’on vous appelle Braque ?

 

Je te hais bâtard onomastique avec tes enquêtes tes chefs tes sous-chefs ta hiérarchie

Et tu sais quoi ?

Au risque de te surprendre…

                                                            

— Je n’ai rien à déclarer.

Je sais que c’est mort que je suis là pour quarante-huit heures que j’ai le droit de garder le

       silence de demander à voir un médecin

        — Ou sinon, votre nom, c’est un hommage au peintre…

Braque jette un regard surpris à l’Agent qui sourit et s’assied pour lui demander comme à

       un vieil ami
   

 — Dites, vous y êtes allé un peu fort avec vos copains non ?

Si

J’ai mal à la phalange mais tu sais quoi

Ma radicalité ne me fait pas honte

Mieux

Je la revendique

Je la soigne

Je la préserve

Je la préserve de tes promesses d’emploi de tes pubs de tes murs

Mais je la préserve aussi de mes échecs, de nos douleurs, de nos luttes quotidiennes

De tout ce qui fait que je boîte que je rêve presque plus que j’arrive plus à aimer 

 

(Je t’aime, j’aime ton odeur de liberté j’aime ton chuchotement je voudrais

Te croiser par hasard)

— Je n’ai rien à déclarer. 

Qu’est-ce qui reste bordel

A quoi s’accrocher pour ne pas nier l’espoir

Pour continuer à croire

A changer

Pour croître et désirer

Pour balayer cette putain de défiance

Triste

Urbaine

Néfaste

Rurale 

       Contagieuse 

Braque serre les poings et se fatigue de sa mélancolie

Braque ne sait pas pourquoi il s’appelle Braque et se fout de savoir d’où ça lui vient

Braque rêve d’incendie

D’amitié

De passion

De chair et de sang

 

Il aime ses errances dans La Ville

Bipolaire un jour sur deux

Sa vie est un film

Dont il est amoureux

Il n’apprécie rien tant que la banalité des petites choses

Demander une clope et s’en voir offrir deux

Boire un café en automne

Se retenir d’enlacer pour mieux se faire désirer

Ignorer pour être vu 

Se cacher pour agir

Fuir pour revenir

Et parfois

Embrasser passionnément

Ne plus rien contenir

Aimer comme un dément 

 

L’Agent est sorti

Braque est seul

Sous le néon

       En état d’arrestation

       Mais dans sa tête