Juste un poème n° 13

 

 



 

Stances et Sarabande

 

 


Jean-Pierre Naugrette

11/10/2014


 

   

Le paradoxe de Ion

 

[Stances d’autoroute A 13] 

 

1

Genesis 

en voiture

on fonce

 

2

On a beau dire

ça tenait bien

la route

 

3

Phil Collins

& Co.

on les reconnaît non

 

4

— Oui mais je préfère

leur album

Trick of the Tail

 

5

— D’accord d’accord

mais c’est quand même pas mal

avoue-le non

 

6

L’amplitude des vagues

de guitare un océan

attention au camion

 

7

Double-le, double-le,

fichue pluie on n’y voit goutte

sur l’autoroute

 

8

Tu la reconnais

pas vrai sa voix

ne t’inquiète pas

 

9

C’est la pluie habituelle

du ciel de traîne

sur l’A 13

 

10

C’est Atlas

qui carambole

avec les nuages là-bas

 

11

& le verger

sous la pyramide

d’ardoises

 

12

C’était quand même

pas mal

avoue-le non

 

13

— Je sais ce que tu

vas dire un ciel

à la Poussin

 

14

— Au fond tu vois

malgré tout

nous

 

15

Malgré la pluie

toujours

sur la route

 

16

Sommes ensemble

en voiture

on fonce

 

17

Vers un ciel

plus rose

& bleuté

 

18

Genesis

Les Beatles

Simon & Garfunkel

 

19

Tu la reconnais

on aimait

bien celle-là

 

20

Et tout compte

fait

toujours ensemble

 

21

After changes

upon changes

we’re more or less the same

 

22

Sur Paris tu m’as parlé

du paradoxe de

Ion

 

 

* * *

 

 

Shawm*

 

[Sarabande sur Jan Pieterszoon Sweelinck, 1612]

 

 

 

Jan Pieterszoon, Jan Pieterszoon,

Ça va pas pouvoir continuer comme ça

C’est pas ce qu’on avait prévu

Si ça continue vois-tu

Je m’en vas trouver le Père de Jongh

Qui nous a mariés lui mander

Comme tu t’enfermes là-haut toute

La sainte journée à composer

On a même plus le temps de faire shawm

 

 

— Margharita, Margharita,

J’ai trouvé un ancien portulan

Les côtes des Indes Néerlandaises

À la musique du compas voguant

J’ai jonglé avec sphères que roulent

Dans leurs cerceaux les belles naïades

Au large de la terre de Van Diemen

Oh quelle harmonie de cascades

Jusqu’aux portées de ma sarabande

 

 

— Jan Pieterszoon, Jan Pieterszoon,

Ça va pas pouvoir aller comme ça

Je te rappelle que Willem a trois ans

Que j’attends Grete-Maria pour l’automne

J’ai trop à faire en cuisine et le marmot

Qui est souvent malade comment veux-tu

Je m’en vas trouver le docteur Leyden

Lui mander comme tu nous abandonnes

On a même plus le temps de faire shawm

 

 

— Margharita, Margharita,

J’ai trouvé un vieil herbier

Folio Amsterdam 1550

Les orchidées les verbénacées le thé

Dont feuilles venues d’Orient

La traversée tout le voyage imagine

Le tabac miellé de la faïence de Chine

A inondé ma meerschaum

Parfumé jusqu’à ma sarabande

 

 

— Jan Pieterszoon, Jan Pieterszoon,

Ça va pas pouvoir durer longtemps

On dirait que tu as oublié

Tu te rappelles quand on allait

Au Zwuitsee dans le printemps

Par les tulipes et par les champs

On laissait les cycles contre digue

On s’allongeait dans l’herbe le vent

Et soir venu on faisait shawm

 

 

— Margharita, Margharita,

J’ai trouvé un vieux traité d’escrime

Est-ce Mars ? Et quarte et quinte

Et feinte ah maître De Sylvius

Connaissait bien la musique

Secrète botte et mouche de sang

Peinte au front de l’opposant

L’étoile obscure figure

Jusque dans ma sarabande

 

 

— Jan Pieterszoon, Jan Pieterszoon,

Ça va pas pouvoir aller longtemps

Ce matin m’en suis trouvée le Père De Jongh

Lui ai mandé comme tu m’abandonnes

Me laisses avec le marmot malade

Et les servantes et Grete-Maria

Qui arrive à l’automne

Et les tulipes dans les champs

On a même plus le temps de faire shawm

 

 

— Margharita, Margharita,

Dans un tableau du vieux Brouwers

Morte nature aux coquillages

Qu’hautain nautile défend

Huîtres béantes chairs roses

Citron colimaçon

Une touche noire et or de papillon

Est venue voleter pour point

Final de ma sarabande.

 

 

— Jan Pieterszoon, Jan Pieterszoon,

Ça va pas pouvoir

 

 

— Margharita, Margharita,

Mais si, ça va pouvoir, ce soir m’en vas

Te visiter jusque fond de ta chambre

Chandelle étouffée pour ta chair ronde

Composée sous ma main aussi

Grise et rose que huître béante

Alors, Margharita, Margharita,

Comme au Zwuitsee dans le printemps

Par les tulipes et par les champs

On fera shawm ensemble.

 

 

 

 

* shawm : ou chalemie, instrument à vent à anche double, de la famille du hautbois,

très répandu au Moyen-Âge et à la Renaissance (du latin calamus, roseau).

Référence : CD Miniatures, Renaissance Music & New Music,

Margit Kern, accordéon & Katharina Bäuml, shawms.

Deutschlandradio, GENUIN classics, 2011.