Juste un poème n° 21

 

 



 

Instants n° 6

 

 


Sebastian D. Amigorena

21/01/2017 


 

 

 

 

Les flammes sont un produit secondaire de la combustion, réaction chimique complexe qui consomme de l’oxygène et dégage du dioxyde de carbone et de l’énergie. Le feu produit aussi un souffle grave que nous écoutons parfois fascinés au coin d’une cheminée, les yeux perdus dans les flammes. Les explications scientifiques de ce phénomène sont incertaines. La plus plausible est peut-être celle-ci : la chaleur émise par la réaction chauffe les masses d’air proches, qui deviennent plus légères que l’air environnant et emportent les flammes dans un mouvement ascendant dont la vitesse dépend de la différence de températures. Le frottement entre ces masses d’air se déplaçant à des vitesses différentes émet un son qui ressemble à un souffle grave, presque rauque. Le son du feu, plus même que ses flammes, caresse nos entrailles, nos muscles, nos os, nous réchauffe de l’intérieur. Il a probablement été notre première mélodie, monocorde, en ces temps lointains où les humains devenaient lentement des animaux désespérés. Ses échos sourds allaient ensuite mourir dans la pénombre encore vierge de la nuit.

 

 

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Pourquoi la vie a-t-elle cette volonté acharnée, opiniâtre, d’exister ? Les arbres, par exemple, déploient des racines aussi profondes que la prospection d’eau l’impose, des branches aussi vastes que la résistance de leur bois le permet, et les couvrent d’autant de feuilles qu’ils peuvent en générer avec l’eau et la lumière disponibles. Il y a-t-il un but à tout cela ? Un début et une fin ? Est-ce par hasard si en fin de journée une brise hésitante agite quelques feuilles au sommet d’un olivier, éclats de vert-sombre sur le ciel encore bleu ?

 

 

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Nous y sommes. Juste à temps. Nous courons presque pour arriver au sommet avant le début. Et il nous attend, quelques centimètres au-dessus de la mer, énorme et majestueux comme une baleine, bleu comme une orange. Pas de nuages, une mer sans vagues, pas de vent. Quand nous sommes enfin installés, il commence sa douce descente vers la pénombre. La terre ce jour-là tournait moins vite. Il mit un temps sans temps. Et finit par disparaître, dans un éclat final, vert clair, qui dura une fraction de seconde. On se retourna les uns vers les autres, incrédules.

Les explications scientifiques de ce phénomène étrange sont toutes incomplètes. Et il n’existe aucune raison objective pour que cet éclat vert, qui orne exceptionnellement la fin des couchers de soleil, soit à ce point fascinant. Ni sa beauté (toute relative), ni sa rareté, ne peuvent expliquer l’effet qu’il produit sur ses spectateurs. Est-ce peut-être l’effet du doute persistant sur son existence? La physique quantique, pourtant, nous apprend que la réalité est composée d’éléments irréels.

 

 

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On méconnait souvent l’importance des ombres, et leur complexité. Les ombres habillent pourtant les objets d’espace, de temps, les illuminent d’obscurité. Leur intensité, par exemple, résulte de paramètres multiples, tels la longueur d’onde et la fréquence de la source lumineuse, l’existence ou non d’un « intermédiaire » qui réfléchit les photons et ses caractéristiques de réflexion, la densité et la transparence de l’objet qui les absorbe. Certaines ombres sont profondes, graves, imperméables, remontent du passé. D’autres sont récentes, mouvantes et légères, comme celles des palmiers. Les ombres de nuages sont inquiétantes et celles de lumières électriques commodes, dociles et prédictibles. Les ombres de lune sont délectables et intimes.

Compagnons sombres de nous, échos indolores, les ombres de personnes sont une toute autre affaire. La mienne me parle sans répit. Même dans la nuit noire elle rit avec moi. L’ombre de mon pied me suit, pas à pas.

 

 
 
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