Exergue n° 119

 

« Les enfants, quand ils commencent à parler, ne parlent pas nécessairement à une personne présente à côté d’eux. Ils semblent éprouver le pouvoir des mots […] : paroles qui leur tiennent compagnie, mots qu’ils lancent dans l’air et qu’ils s’entendent dire. Ce sont – telle est la loi de l’apprentissage du langage – d’abord des mots qu’ils répètent après les avoir entendus de la bouche de leurs proches. Ils les leur répètent, se les répètent à eux-mêmes pour […] apprendre à l’appareil phonatoire à former ces sons, découvrir par là même et qu’on a un appareil phonatoire et qu'il est adaptable, fait pour ça. Cette entrée dans la parole, en tout cas quand les choses marchent bien, unit rapport à soi et à ses aptitudes, rapport aux proches, rapport à ce qui est lointain et que les mots évoquent. »

Pierre Pachet, « Parler tout seul »,
dans Critique, n° 702, novembre 2005, pp. 824-825.

 
 



Jennifer Pays

03/05/2014

En parlant tout seul, l’enfant expérimente les mots intérieurs à soi et il les lance vers autrui. Il découvre ainsi sa capacité à transformer sa voix pour incarner tel ou tel personnage. Parler tout seul devient un espace à plusieurs voix qui communiquent entre elles, et tout se passe comme si des hommes parlaient entre eux.

Ces paroles ne s'adressent pas à autrui, mais le regard de l'autre est là, pas loin, même s’il n'y a plus au premier abord de relation avec lui. Et c'est bien l'extérieur qui ménage cet espace ; l'autre permet à l’enfant de sortir sa voix. Parler tout seul lui fait expérimenter la solitude en présence d'autrui.

L’enfant oublie-t-il alors le rapport à l'autre ? Oui, pour extérioriser quelque chose d'intime ; et non, car il expérimente aussi l'espace social déjà entendu (ex : « disputes entre les parents, les ordres qu'ils ont reçu », etc.) ou bien encore une scène qu'il voudrait vivre.

Notre conversation ne serait-elle pas toujours la résonance de notre voix expérimentée en parlant tout seul, habitée d’autres réflexions entendues ici et là ?

 C’est pourquoi,

Les exergues, quand ils commencent à être rédigés, ne s’adressent pas nécessairement à une personne présente à côté de moi. J’éprouve, via l’écriture, le pouvoir des mots […]: mots qui tiennent compagnie, lancés dans cet espace « exergues » et que tout le monde peut lire. Ce sont – telle est la loi de l’apprentissage de l’écriture – d’abord des mots que je répète après les avoir entendus […] Je vous les répète […] et je découvre que les mots sont faits pour ça, pour être redits…

   

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