Exergue n° 21

 

« (…) notum si callida verbum reddiderit junctura novum. (v. 47-48)
On écrira avec distinction si, d’un terme courant, on fait par une adroite alliance un terme nouveau.

 Versibus impariter junctis querimonia primum (…) (v. 75)
Dans l’union de deux vers inégaux (…)

(…) tantum series juncturaque pollet, tantum de medio sumptis accedit honoris. (v. 242-243)
Tant l’ordre et l’arrangement ont de prix, tant on peut ajouter d’éclat à des termes empruntés à la langue courante. »

Horace, Art poétique, dans Épîtres, texte établi et traduit par F. Villeneuve,
Paris, les Belles Lettres, 1967, p. 202-226.

 
 


 Nancy Oddo

04/02/2012

Chez Horace, la junctura est moins l’art de la composition, de la dispositio, que celui de l’association de syntagmes, c’est-à-dire de la transition entre des formules, des mots. Point crucial chez lui qui cultive l’ambiguïté : son Art poétique décrit, sans vouloir l’imposer, une pratique poétique, mais elle est aussi un assemblage de règles prescriptives pour guider de futurs poètes. Entre une poétique (qui décrit) et une rhétorique (qui conseille), Horace oscille, provoque une tension salutaire : il propose la junctura sans l’appliquer à la lettre lui-même. Cette ouverture qui allie mot d’ordre et, simultanément, droit à la liberté incarne précisément la transition : elle transmet, messagère d’une parole qui accueille, dans un geste où se tiennent l’enseignement et la liberté du choix à faire. Le savoir ne se tait pas, il dit l’importance de la transition, du lien des mots entre eux, dans un espace où les liens des hommes entre eux demeurent fondamentalement libres.

L’oscillation d’Horace, entre transition et juxtaposition, junctura et disjunctura, mime le mouvement du gouvernail d’un bateau : pour avancer, le marin gagne à le maintenir souple, le tirant et le poussant.