Exergue n° 76

 

« De même, les maisons modernes manquent de couloirs pour les enfants, courir ou jouer, pour les chiens, les parapluies, les manteaux, les cartables et puis n’oublions pas : les couloirs, c’est l’endroit où roulent ces petits enfants quand ils sont exténués, c’est là où ils s’endorment, où on va les ramasser pour les mettre au lit, c’est là qu’ils vont quand ils ont quatre ans et qu’ils en ont marre des grands, de leurs philosophie, de tout, c’est là qu’ils vont quand ils doutent d’eux-mêmes, qu’ils pleurent sans crier sans rien demander. »

Marguerite Duras, La Vie matérielle,
Gallimard, Folio, 1994, p. 75-76

 
 


Virginie Huguenin

20/04/2013

Au XIXe siècle, Paris était percée des plus beaux couloirs qu’on y ait jamais construits : les passages couverts, ces galeries glissées entre les immeubles, peuplées de boutiques et revêtues d’une verrière qui les baignait doucement d’une lumière zénithale. Extension de l’intérieur des demeures bourgeoises sur un extérieur criard et bruyant, ces passages formaient un entre-deux pour celui qui cherchait un contact avec l’autre en dehors des murs de son espace privé. Les grands magasins ont bientôt concurrencé ces galeries, essentiellement marchandes, et le monde a alors tout oublié : les boutiques mais aussi les cafés, les théâtres et les escaliers, tout ce qui en faisait des espaces de transition au tournant d’une période où l’individu investissait la sphère publique comme lieu d’expression poétique, politique – dissidente par essence, toujours.

A l’intérieur des maisons, le couloir non plus n’est plus à la mode : dans les appartements il est même synonyme de perte de place. Pourtant, à l’instar de Benjamin qui identifie les perrons, les escaliers, les vestibules et les couloirs comme des « espaces du seuil », des lieux de suspension du rêve et des espoirs, des débats intérieurs et extérieurs dans l’attente d’un à-venir un peu plus complaisant, Marguerite Duras en fait l’espace privilégié des enfants aux songes suspendus, évanouis dans le sommeil et les pleurs assourdis par une rage contenue, et pourtant retentissants de leurs cris, de leurs rires insoumis lancés avec révolte à la face de l’adulte.

 

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