Abécédaire

 
 Travail n° 2
 
 


Gilbert Cabasso

13/06/2015

Travail : « Travaille ! » Le mot, fatalement, résonne comme un impératif. Impossible de l’entendre autrement. C’est son destin, vieille résonance biblique. « Prenez de la peine ! » Tripalium : triple joug , torture. On l’a dit mille fois. On ne sait plus ce qu’on dit. Allez en parler au chômeur de Pôle-Emploi ! A celui qui n’y va même plus pointer… Les antinomies se font drolatiques : « Libérons-nous du travail ! » proclamions-nous sans vergogne, en accablant de reproches le paresseux du fond de la classe qui baillait aux corneilles ! Nous lisions avec délice Le droit à la paresse de Lafargue, le gendre de Marx, que l’élève n’avait pas le courage de découvrir. Nous vantions pour l’ignorant la liberté oisive  et l’heureuse contemplation du citoyen grec que l’esclavage seul rendait possible. Il fallait faire l’effort de comprendre que l’homme libre aurait eu honte de travailler. L’École ? La skholê, il fallait l’entendre comme le lieu, le temps du loisir, de l’activité sans autres fins qu’elle-même, la perfection d’une activité dont le jeu pouvait nous donner un équivalent assez juste.

Haine du travail dépossédé, asservi, aliéné, de la tâche sordide, salissante, écrasante. Refus des exploitations forcées ! « Secouons le joug des oppressions » dont le travail représenterait la plus ordinaire des contraintes, et parfois, la pire ! Le cynisme criminel des nazis, dans son truquage abject, faisait pourtant signe vers une vérité qu’il fallait prendre en compte : donner corps à cette idée selon laquelle, en effet, « le travail libère ! ». Le travail, désir réfréné, forme. Il donne forme à la matière, autant qu’à celui qui l’informe. Nous grandissons en travaillant et le travail nous grandit. Et travailler le concept fait advenir une vérité comme on modèle une matière. Soyons des « travailleurs de la preuve » ! Faire devrait-il nous consoler d’ignorer ?

  Et puis, par une sorte d’étrange renversement, voici que toute activité pourrait vouloir sa propre sublimation, le jeu nous éduquant au réel et le métamorphosant. L’artiste travaille et joue tout à la fois. L’amour, même : « aimer travailler, travailler à aimer ! » disait Godard. Jusqu’à la plus heureuse des transfigurations: « Après tout, le travail, c’est encore le meilleur moyen d’escamoter la vie ! » répondait Flaubert à qui lui prédisait qu’il se tuerait à la tâche. « C’est mon métier,  répondait-il, si ce n’était pour lui, pour quoi vivrais-je ? »

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