Abécédaire

 
 Poésie n° 2
 
 


Alexis Hubert

09/05/2015

Tâtonnons : la poésie, c'est peut être une certaine épaisseur de la langue, tendant à isoler le mot dans une verticalité et à lui donner une résonance maximale, dans sa matière, dans sa plasticité. À la différence de la prose qui dans son phrasé lié favoriserait plutôt l'enchainement temporel et le choix automatique du sens imposé par le contexte de la phrase.

Mais, déjà, dire poésie fédère ; c'est tel rayonnage de la bibliothèque. Or, il n’y a aucun ciment ; chacun est aussi autonome et relié qu’un grain de sable dans le tas. La poésie : une dune littéraire.

La poésie peut être support de gloses savantes, elles demeurent partielles, aussi justes que décevantes. Car elle n'est pas affaire de maitrise, n'est pas affaire de savoir ; elle ne va que vers l'indéfini, tout entière ouverture ; « La poésie va plus avant » disait Celan.

Certains ont consacré leur vie à trouver une vérité cachée derrière les mots, à y chercher de quoi réparer le mal d’être, les blessures que cause le réel là où, il me semble, la poésie circule simplement dans le tout-venant du vivre et vient l'innerver. La poésie doit accepter son histoire, mesurer ses outrances lyriques aussi bien qu’expérimentales : contre le clinquant de l'image et du mot, contre l'abstraction formelle, subordonner le poème à la tension de vivre. Toute vie, même la plus banale, a sa part d’intensité, en joie ou en détresse. C'est cette part que la poésie tente de capter, de fixer en dire.

Qu'est ce que cela veut dire d’être là maintenant, d’exister? La poésie ne répond pas à la question, elle l'acidifie : elle est l'affleurement lisible de ce qui est tu. La langue de tous les jours, la langue philosophique ou divers modes d’expression achoppent là, sur un début d’être sans parole, jusqu'au poème. Écrire un poème, c'est peut-être rejoindre cette violence antécédente, cette tension native.

C'est peut-être aussi être à l’écoute d’un certain silence qui nous demande et, en quelque façon, nous donne la parole. Pour remonter au plus près des sources de la parole, au poète de chercher alors à « extraire le silence du rythme et des syncopes de la langue » (Dupin). Car un poème est toujours effet du silence. Écrire de la poésie, n’est-ce pas chercher à mieux ignorer, à mieux taire ?

Une image, une pensée, un sentiment, une impression, une vision immédiate qu’on nommera poésie, si l'on veut, le temps d'un battement de paupière : écrire alors un poème, « une émotion solidifiée » (Reverdy) produite par l'expression au plus près possible d’une expérience.

Reste commun un brusque défaut de langue. Le poème répond à cela ; sa charge est fondamentalement positive ; il est reconquête, non pas défaite de langue. Même s’il fêle ou casse la langue fausse, défaillante, c’est pour recomposer autrement l’outil et reprendre pied, ou prise, même illusoirement, même momentanément.

La poésie vivra parce que l'homme doit affronter le retrait du langage face à ce qui est vécu, inlassablement « peser de tout son poids sur le / mot / le plus faible / pour qu'il éclate / et livre son ciel » (André Du Bouchet).