Abécédaire

 
 Poésie n° 1
 
 


Augustin Leroy

18/04/2015

Mallarmé, en réponse à Léo d’Orfer lors d’une enquête en 1886, proteste : « C’est un coup de poing, dont on a la vue, un instant, éblouie ! que votre injonction brusque – Définissez la poésie ! Je balbutie, meurtri » : etc.

Je ne garde rien de Mallarmé si ce n’est l’idée que la poésie « doue notre séjour ». Bien qu’elle ait souvent les yeux levés au ciel, elle demeure un effort d’habiter le monde et le langage et d’enraciner corps et esprit sur la terre rugueuse : Noël en chair et en os !

Mais s’il y a épiphanie, c’est que se dévoilent, au fil des lectures, des pratiques et expériences de la poésie plutôt que la poésie essentiellement ramenée à elle-même comme à ce « cancer ontalgique » dont parle Queneau. Qualitative ou quantitative, accentuelle ou syllabique, je peux dire d’elle ce dont témoigne Baudelaire à la vue des métamorphoses de Paris, de la ville et de la campagne, de l’art des hommes dans la disposition de leurs terriers : les formes poétiques changent plus vite que le cœur d’un mortel.

La césure autrefois instaurait l’équilibre,

Puis le trimètre au bonnet rouge. Le vers libre

Rejeta les patrons anciens, même la rime

S’éteint ; les râles s’élèvent : ça meurt. Infime

et pas morte, sommeille

la poésie.

Que l’angoisse éveille le frisson de la merveille !

D’autant que s’entremêlent désormais la prose du cœur et la poésie des circonstances au gré de ce qui, aux lèvres de Sapho, s’appelait rhythmos : réelle articulation du son et du sens impulsée en écho à l’activité du cœur qui tour à tour pose et pause, accélère son battement, le suspend, en fonction du désir. D’où le tort de Sartre lorsqu’il affirme l’intransitivité de la poésie ; jamais absolument séparée, elle borde le politique, l’enjambe ou le rejette et ses coupes procèdent aussi bien d’un boitement de la signification que de l’intériorisation sensible d’une césure historique. Aussi la poésie n’est-elle pas tant un écart ni « une rémunération du défaut des langues » ordinaires que l’investissement énergique de l’« universel reportage » qui contient déjà le germe sacré de l’enthousiasme et de l’étonnement.

Reste l’état de la poésie aujourd’hui. Certains l’ont dit « inadmissible », s’inscrivant dans la filiation du mythe romantique désireux d’abolir la séparation de l’Être et du langage, comme si la seule motivation du dire « poésie » ne pouvait qu’être son enterrement définitif. Mais plutôt qu’une tombe définitive et définitoire pour la poésie, c’est l’impossibilité de la définir qui appelle à creuser, dans la langue et dans le monde, un petit trou – ô berceau du lyrisme sur la terre triste ! où planter l’avenir des arbres ; comme le dit Char, « la graine qui va tant risquer est heureuse ».