Abécédaire

 
 Mère n° 4
 
 


Hélène Merlin-Kajman

21/03/2015

« Terme relatif », nous dit Furetière : « mère » n’a de signification qu’en relation avec « fils » ou « fille », ou bien « enfant » lorsque ce dernier mot est lui-même un terme relatif : « enfant de ».

C’est donc un lien qui définit la mère ; mais on pourrait ajouter que jusqu’à une époque récente, il n’y avait pas de mère sans père (même inconnu). De même, jamais on n’aurait imaginé possible son dédoublement biologique (l’éprouvette, la mère porteuse, etc.).

Un dédoublement possible existait déjà cependant, car la mère a toujours pu être inconnue, elle aussi, ou renonçante, et la vraie mère alors est celle du lien. Mais l'inconnue l'est de façon très différente d’un père inconnu. Car même inconnue, elle a, fût-ce un très court moment, connu son enfant. Le nourrisson est (ou est encore, dans la majorité des cas) lié à sa mère par un point de contact les attachant et les détachant comme deux individus : connaissance sans souvenir pour le nourrisson, connaissance éprouvée, accueillie ou rejetée, transie ou fervente, intimement en tout cas, par la mère. Quand bien même elle mourrait juste avant, juste pendant la naissance de l’enfant (cela arrive), la grossesse lui aurait fait connaître qu’un individu différent d’elle s'était développé en elle.

La façon dont le père s’introduit dans le grand drame de la génération est au contraire minuscule, invérifiable jusqu’à il y a peu – sinon la ressemblance, aléatoire, douteuse.

Il est trop tôt pour savoir ce que pèse, face à des millénaires d’histoire, le progrès scientifique vertigineux accompli ces dernières décennies. On peut cependant rappeler que les êtres humains ont inventé de très nombreuses manières de maternité et de paternité, de très nombreux modes de parentalité. Et sans aller trop loin, les mères qui confiaient dès sa naissance leur nourrisson à des nourrices ne devaient pas être mères exactement comme celles qui les allaitent – ni mères exactement comme ces mères nourricières qui en allaitaient tant.

Mères, alors. 

Décliner toutes ces différences est source d’émerveillement.

Mais je reviens à nous (ou à moi).

Pour une mère, le mot « mère » a une double polarité – et le contraste peut en être très violent : il évoque sa propre mère ; et il l’évoque, elle, dans son lien à ses enfants. Sa propre mère l’habite comme mère. Son propre père aussi bien sûr. Ou leur absence, ou leurs doubles, ou ses grand-mères, grand-pères, ses nourrices, ses tantes, etc. Elle est mère avec les générations d’avant, avec leurs pleins, leurs vides, leurs déliés.

Mère alors est une oscillation, un lieu d’enchaînement des corps. Qu’il puisse être un lieu aimant, c’est mieux. Qu’il puisse comprendre la fluidité du « plus qu’une », c’est mieux aussi. Un terme relatif, oui.