Abécédaire

 

 
Hymen n° 2
 
 

Michèle Rosellini

02/02/2019

 

 

Humen, ô humènaï ! : les mots grecs qui célèbrent les noces et leurs chants se transposent aisément en français. L’hymen habite familièrement notre langue poétique. Rencontrer la formule dans une version était pour moi, lycéenne et traductrice novice, une pause bienvenue dans le cours laborieux de l’exercice.

Son homonyme m’était inconnu. Il s’étale aujourd’hui sur des dizaines de sites internet. Mais j’en étais alors réduite à soupçonner quelque mystère dans le corps féminin en surprenant les allusions railleuses à celles qui ne pourraient pas « se marier en blanc » faute d’avoir su « le garder ». Or comment demander à quiconque de conserver ce dont on ne connaîtrait ni l’existence ni le nom ? Aucun contrat sensé de la vie sociale n’inclurait une telle clause. Pourtant il a été imposé aux filles pendant tant de siècles !

Les dictionnaires anciens ont pu, au nom de la norme langagière et de la bienséance morale, conforter le silence de la société, ou, au contraire, le rompre par l’énoncé d’un savoir. Les premières éditions du Dictionnaire de l’Académie s’en tiennent au terme poétique, quand Furetière peut se prévaloir de son projet d’inclusion de la langue technique pour accorder à l’« Hymen, en termes de médecine… ») un volume de texte deux fois supérieur à celui des deux premières entrées réunies (« Divinité fabuleuse des Payens qu’ils croyoient présider aux mariages » / « … signifie aussi poëtiquement le mariage »). Quant à l’article de l’Encyclopédie, il inverse l’ordre des entrées et bouscule les préjugés : « Aussi est-il arrivé que cette membrane délicate, de figure indéterminée, qui se trouve ou ne se trouve pas dans le conduit de la pudeur, qui est visible ou invisible, a causé plus de maux dans le monde que la fatale pomme jettée par la Discorde sur la table des dieux aux nôces de Thétis & de Pelée. » L’ironie de la notice vise à la fois les controverses des médecins sur l’existence de cette prétendue preuve de la virginité, et la valeur abusive que lui accorde la société au point d’en faire une condition du mariage bourgeois.

Étrange rencontre, sous le beau mot d’hymen, de la promesse d’un bonheur et des vestiges d’une oppression !