Abécédaire

 

 
Artichaut n° 2
 
 


Hélène Merlin-Kajman

06/10/2018

 

 

Dioscoride l’appelle « épine blanche » ; et Furetière, qui l’écrit artichaud, « une espèce de pomme dont le cul est bon à manger ». Mais ne serait-il pas fleur plutôt que fruit comme le pensent les médecins d'alors, pour qui « ce qu'on appelle ordinairement les feuilles ne tient lieu que d'un calice qui a plusieurs plis » ?

Fleur ou fruit, il en existe de nombreuses variétés, très peu blanches à la vérité[1] ; et plusieurs manières de le préparer. Cuit, sa chair fond dans la bouche. Son goût est savoureux ; mais, quoique délicat et même marin, il subjugue celui de l’eau et jusqu’à celui du vin : mieux vaut rester abstème en le mangeant.

Pourtant on peut en faire un vin, le Cynar (je ne l’ai jamais goûté).

Ses vertus médicinales sont infinies. Mais une fois cuit, il faut le manger vite, car des toxines s’y développent rapidement.

Son nom dont le son traverse toute la bouche (gorge, langue, palais, dents, lèvres) vient de l’arabe. Sans doute à cause de sa riche articulation sonore et de sa chaleur finale, il semble appeler la charade ou le rébus. Il s’y prête mal cependant (j’ai essayé).

L’artichaut ne tient plus rien de son ancêtre sauvage le chardon[2] (quoique certaines variétés possèdent des feuilles un peu piquantes). Non seulement il ne repousse plus personne, mais Inconstance est son nom. Son cœur semble s’ouvrir de toutes parts et se distribuer au premier objet qui passe, à la première main (on dit en ce sens : avoir un cœur d’artichaut).

Mais à voir s’éclore sa fleur mauve et lumineuse cachée au fond de son calice (car les médecins contemporains de Furetière avaient raison : c’est une fleur en bouton que nous mangeons), on comprend que son cœur est au contraire bien gardé. Il est du reste facile d’inverser le dicton : après avoir soigneusement fait bouillir un artichaut, il suffit de l’effeuiller à la manière d’une marguerite en lui faisant rendre l’oracle ardemment espéré…

Et le lendemain pour peu qu’on ne l’ait pas jetée, on trouvera son eau de cuisson devenue d’un vert émeraude étincelant.

 



[1] L’article Wikipedia distingue les « blancs » et les « violets ». Mais parmi les « blancs », outre l’incontournable « camus de Bretagne » dont le vert, sur nos étals, fait peu de doute, on rencontre le « vert de Laon » et le « vert d'Italie ou tête de chat » (à ne pas confondre avec le « violet de Venise ») ; quant au « blanc hyérois », il est dit « à bractées vertes »…

[2]Sauf par les noms de certaines de ses variétés ? L'INRA « a mis au point divers nouveaux cultivars d'artichaut » : « le Caribou, le Salambo, le Salanquet, le Carlite, le Popvert, le Vertu, le Calico, le Cric, le Cari et le Cardinal », etc. Or « chardon » se dit « carduus » en latin, « cardo » en italien (et artichaut, « carciofo »)…  

Mais pourquoi donc « Salambo » ?