Abécédaire

 

 
Hasard
 
 


Mathilde Faugère

20/01/2018

 

  Alors, il y a le hasard, version familière, « au pif ». Plutôt sympathique, ce premier hasard qui apparaît. « Je ne sais pas, je ne vais pas réussir à savoir là maintenant tout de suite, il faut y aller, bon...au pif… » On notera ici immédiatement que les gens qui disent y aller « au pif » nous embrouillent peut-être un peu : ils ne savent pas, mais ils suivent quelque chose quand même, ils sentent.

Il y a ensuite le hasard, version généalogique, c’est alors « M. Hasard ». M. Hasard est le petit-fils dégénéré de la grande Madame Fortune. C’est également le cousin, un peu médiocre, d’« Absurde ». Oui, Absurde n’a pas de titre, il va seul, avec son article élidé, ce n’est pas une attitude qu’il se donne, même si parfois on le croit, c’est simplement qu’il ne peut pas cocher de case. Il est seul, Absurde, c’est assez dur autour de lui. Hasard a plus d’amis, il est plus complaisant.

Et c’est donc le hasard, version conversation de comptoir. « Ah ben ça c’est le hasard, ma bonne dame. » « P’t être ben qu’oui p’t être ben qu’non ». C'est celui qui laisse un grand silence (« attention, c'est profond, là »), qu’on peut blâmer facilement aussi : « de toute façon, tout ça, c’est du hasard ». Il arrête, il tranche. Il est un peu cynique dans le soulagement qu'il offre. Mais il faut reconnaître qu'il a sa « part ».

Il y a encore le hasard, version « le hasard, ça n’existe pas ». Et l'âme sœur existe, et la petite souris va passer, et tout cela prendra un sens en fin de compte. La proposition est relativement sympathique dans un univers imaginaire. Vivre dans un monde où tout a du sens : pas de hasard, mais de la vraisemblance, de la nécessité. Le petit élément caché au début de l’histoire, le détail dans le tapis ont un sens, et on le saura à la fin du livre. Dans la réalité, pas tellement. Je préfère ma nécessité en fiction, en plastique, je crois.

Il y a enfin le hasard, version jeux de hasard et probabilité. Celui qui mène, étrangement, à un modèle. Et peut fonctionner alors comme une force d’explication, une variable d’ajustement. On peut tenter alors de reprendre les choses, de calculer, de l’appliquer à la vie. Si ce train était arrivé plus tôt… Si on s’était rencontrés il y a cinq ans… Oui, certes.

Le fait est, je crois, que je ne l’utilise pas vraiment. « Hasard » ne fait pas vraiment partie de mon vocabulaire. Ce n’est pas que je ne l’aime pas, que je ne le trouve pas nécessaire. Mais simplement, je l’ignore un peu. S’il est quelque chose, je dirais qu’il est ce qui nous arrive quand on lâche, quand on arrête de décider, de chercher la causalité, parce qu’on ne peut pas, qu’on ne veut pas. Le hasard, c’est alors une sorte de grand hangar, gigantesque, où sont stockées toutes ces choses qui nous arrivent, celles qui arrivent jusqu’à nous.

 

 

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