Abécédaire

 

 
Duplicité
 
 


Pierre-Élie Pichot

25/11/2017

1) Forme relativement simple de multiplicité. 2) (De plecto, plier) Caractère peu explicite ; origami éthique.

Il était un temps où « duplicité » signifiait « dualité ». La « duplicité » n'était donc pas, comme aujourd’hui, complice de la culpabilité. Elle venait, au contraire, d’une honnête famille de mots : la « duplique » était simplement la deuxième réplique. Passée au « duplicateur », la « duplique » devenait le « duplicata ».

En cet âge doré, la « duplicité du cœur » n'était guère qu'une malformation létale pour le fœtus...

 

Un jour pourtant, la « duplicité » s'est dédoublée : demeurée quelquefois dualité, elle a aussi pris le pli de la dissimulation. « Sans mentir, si votre ramage... »

Quel jour, d’ailleurs ? Après l’installation des Jésuites en France vers 1580, donner un sens moral à « duplicité » est sans doute devenu assez nécessaire.

Un nouveau métier, celui de moraliste, servira désormais à « éclairer les replis du cœur » (Pierre Nicole).

Sans doute la Contre-Réforme, à la fin du XVIe siècle, a-t-elle donc une part de responsabilité. Duplicité contre publicité : face aux confessions publiques des protestants et des cathares, l’Église promeut la chuchotante « confession auriculaire », qui convient aux cœurs secrets et duplices.

 

Je ne voudrais pas quignardiser, mais une comparaison me frappe.

À la Renaissance, les gravures misogynes représentent bien souvent des corps de femme à queue de poisson : monstres qu’on appellera plus tard des sirènes. Cependant, dans un recueil d’emblèmes misogynes de 1600, voilà que la femme est découpée, non plus horizontalement, mais verticalement : elle est montrée avec un recto de femme et un verso de poisson. La moitié pisciforme de la femme, déjà basse et vile, devient, de surcroît, une moitié cachée. La femme était déjà duelle : elle devient aussi duplice.

(La duplicité aurait-elle été inventée pour les besoins de la cause misogyne ? On lit dans un dictionnaire historique, à « duplice » : « on le rencontre notamment chez Simone de Beauvoir »).

 

Je connais des professeurs qui apprécient et enseignent la lecture comme une chasse à la duplicité. Louise Labbé, Voltaire, Rimbaud : la littérature est une succession de clefs perdues ou plutôt dissimulées sous le tapis. « À l’époque, la censure... » On en voit aussi, depuis Baudelaire, célébrer la beauté de la duplicité. Sans compter qu’à notre époque « gamifiée », toute conversation est une partie de poker.

 

La Renaissance que j'aime lire et enseigner est peut-être le repli que j’ai trouvé en deçà de cet âge de fer jésuite, l’abri où je suis parvenu, fuyant le supplice de la duplicité.

 

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